L’écholocalisation de l’orque est essentielle pour traquer les proies et lui permettre d’être au sommet de la chaîne alimentaire. Découvrez le décryptage de ce sens extrêmement sophistiqué.
La prédation des baleines grises par les orques du Pacifique NE
Photo de couverture de l’article : des orques transientes chassent des baleines grises dans la baie de Monterey © Peggy West-Stap 2005.
Les orques transientes du nord-est du Pacifique se nourrissent principalement de mammifères marins. Parmi leurs plus grandes proies figurent les baleines grises dont elles interceptent la migration.
Le rôle crucial des orques dans la chaîne alimentaire du nord-est du Pacifique
Les orques jouent un rôle écologique fondamental en tant que prédateurs supérieurs, influençant le comportement de nombreuses espèces marines. La prédation des baleines grises par les orques transientes dans le nord-est du Pacifique a été documentée à de nombreuses reprises, la majorité des chasses ayant lieu dans les eaux d’Unimak Pass, en Alaska, une zone transfrontalière séparant l’océan Pacifique de la mer de Béring, ainsi que dans la baie de Monterey, en Californie.
Des preuves concrètes d’attaques répétées dès la fin des années 50
Les premières preuves indirectes d’attaques d’orques sur des baleines grises ont été étudiées par des chercheurs se basant sur les marques de dents parallèles présentes sur 57 – soit 18 % – des 316 baleines examinées à la station baleinière de Point San Pablo, en Californie, entre 1959 et 1969.
Dans les années 1970, des comptes-rendus décrivent des attaques sur les baleines grises au large des côtes californiennes. Depuis lors, de nombreux récits documentés font état d’orques transientes chassant des baleines grises au large des côtes californiennes.
Images d’observation par drone d’orques transientes – printemps 2023
La migration des baleines grises du Pacifique Nord-Est
Chaque printemps, dans le Pacifique Nord-Est, les baleines grises quittent leurs lagons de reproduction protégés de Basse-Californie, au Mexique, et migrent vers le nord, sur une distance de 6 000 kilomètres, jusqu’aux riches zones d’alimentation des mers de Béring et des Tchouktches, en Alaska.
Les femelles adultes et leurs nouveau-nés sont les derniers à quitter les eaux chaudes des lagunes, probablement parce que les bébés baleines ont besoin de suffisamment de temps pour grandir et prendre des forces avant le voyage vers le nord. Les baleines grises migrent en passant le long de la côte de la baie de Monterey, où les orques de Bigg utilisent les caractéristiques bathymétriques (liées aux mesures de la profondeur des océans) du canyon sous-marin de Monterey pour tendre des embuscades aux femelles et à leurs baleineaux.
Le calendrier des proies et de leurs prédateurs
La majorité des prédations de baleines grises dans le Pacifique Nord-Est a lieu entre avril et fin mai, lorsque les cétacés se dirigent vers le nord en passant par la baie de Monterey. En juin, les observations d’orques transientes et les attaques sur les baleineaux des baleines grises commencent à diminuer, et en juillet, les rencontres avec des orques dans la baie de Monterey deviennent sporadiques.
La destination des orques reste ensuite un peu mystérieuse, mais il est possible qu’elles suivent le plateau continental vers le nord, en même temps que les baleines grises. Il est également envisageable que ces épaulards patrouillent et fréquentent d’autres rivages pour se nourrir de mammifères marins comme les éléphants de mer du Nord (Mirounga angustirostris), les otaries à fourrure du Nord (Callorhinus ursinus) et les dauphins océaniques.
Les tactiques des baleines pour éviter de se faire repérer par les prédateurs
Les chercheurs ont remarqué que les baleines grises effectuent des plongées plus longues, tout en expirant sous la surface, ce qui peut rendre plus difficile leur détection acoustique par les orques transientes qui les attendent. Elles cherchent aussi à se dissimuler dans les lits de varech. Par ailleurs, certaines mères baleines grises et leurs baleineaux sont parfois escortés par des mâles qui les encadrent, le baleineau étant placé au centre.
Une fois l’attaque lancée, les mères baleines grises utilisent diverses tactiques pour défendre leurs baleineaux. Leurs immenses nageoires caudales, mesurant entre 3 et 3,6 mètres et constellées de bernacles, peuvent causer des blessures graves, voire mortelles, aux orques qui les attaquent. Les mères baleines grises ont également été documentées en train de rouler sur le dos, tout en positionnant leurs baleineaux hors de l’eau sur leur ventre.
L’attaque des épaulards
Une fois qu’une mère baleine grise et son baleineau sont localisés, les épaulards les encerclent en nageant de part et d’autre. La mère doit augmenter sa vitesse pour leur échapper, mais les prédateurs se montrent opiniâtres et la poursuite peut durer des heures. Le baleineau s’épuise et n’arrive alors plus à soutenir le rythme de sa mère.
Les orques se saisissent ou bloquent les nageoires caudales et les nageoires pectorales de la mère baleine grise pour entraver ses mouvements, tout en essayant de la séparer de son baleineau. Dès lors qu’elles l’ont isolé, elles changent radicalement de comportement en le mordant et en le frappant, en visant plus particulièrement son rostre.
En éperonnant de façon répétée le baleineau gris, les orques lui causent de graves blessures internes et externes. Les mâles adultes interviennent souvent à ce stade, profitant de leur plus grande taille pour asséner de puissants coups. Percuter la région de la tête du baleineau vise à lui briser la mâchoire inférieure pour l’empêcher de relever la tête pour respirer. Les orques en profitent pour le bloquer et le noyer.
Le partage de la proie
Une fois le baleineau mort, les orques se nourrissent de sa carcasse, parfois pendant plusieurs jours, ce qui donne généralement lieu à un rassemblement social de plusieurs groupes. Le comportement alimentaire consiste souvent à s’agripper à la carcasse de la baleine grise tout en la faisant rouler ou en secouant le rostre d’un côté à l’autre pour déloger des parties de tissu et de graisse.
Lorsqu’elles se nourrissent, les orques coopèrent souvent pour diviser un morceau de chair : elles le saisissent et le tirent dans des directions opposées, partageant ainsi la nourriture.
Une consommation parfois sommaire des baleines grises
Les observateurs ont occasionnellement documenté des baleineaux gris décédés dont seuls les tissus mous de la mâchoire inférieure, de la langue et des lèvres avaient été consommés. Ce comportement semble être un attribut commun à d’autres populations d’orques, ailleurs dans le monde, qui se nourrissent de grands cétacés.
Pour comprendre pourquoi les orques consomment partiellement leurs proies, il convient de noter que les carcasses de cétacés possèdent une flottabilité négative et que les orques n’ont peut-être que le temps de se nourrir des tissus les plus tendres avant que la carcasse coule au-delà de leurs capacités de plongée dans la baie de Monterey, en Californie. En comparaison, les eaux peu profondes de Unimak Pass, en Alaska, permettent aux orques de se nourrir de carcasses de baleines grises pendant de longues périodes. Ces carcasses « stockées » sur le fond marin sont alors visitées par de multiples groupes d’orques transientes.
L’apprentissage des jeunes prédateurs
Les orques adultes, juvéniles et même les plus jeunes participent à l’attaque. Les orques femelles initient et dirigent la majorité des chasses. En tant que chefs matrilinéaires, elles maîtrisent une connaissance considérable de la localisation et de la mise à mort des baleineaux de baleines grises.
En participant aux chasses, les plus jeunes apprennent les techniques de chasse en coopération. Il n’est pas rare de voir des orques juvéniles aux côtés de leur mère. Lors de nombreuses rencontres, de jeunes orques ont été observées plongeant et remontant à la surface à quelques mètres de mères baleines grises protectrices, tandis que certains mâles plus âgés restaient à distance, patrouillant à la périphérie et rejoignant le groupe à la fin de la chasse pour porter le coup fatal.
Un bénéfice alimentaire, mais aussi social
La taille des groupes d’orques transientes chassant les baleineaux de baleines grises oscille entre 6 et 28 individus, avec une moyenne de 15. La taille et la composition des groupes changent souvent au cours des chasses, car de nouveaux groupes matriarcaux les rejoignent au fil du temps.
Les orques chassent toujours en groupe, ce qui leur permet de s’attaquer à des proies bien plus grandes qu’elles. Une baleine grise mesure en moyenne 12 mètres pour 27 tonnes, alors qu’une orque mesure entre 6 et 8 mètres pour un poids de « seulement » 4 tonnes en moyenne.
Au cours d’une chasse, chaque orque apporte ses compétences, ce qui rend l’attaque plus efficace et réduit les dépenses énergétiques de chacune, un facteur crucial pour les cétacés. En contrepartie, le pod partage sa proie donc son gain en calories.
En plus de constituer une importante source d’énergie, la prédation des baleineaux profite également aux orques en leur donnant l’occasion de socialiser et de s’accoupler.
L’influence sur l’écologie de toute une région
La prédation des orques transientes sur les baleineaux des baleines grises exerce une influence considérable couvrant plusieurs communautés marines. Des carcasses de baleines grises ont été découvertes au fond du canyon sous-marin de la baie de Monterey avec un assemblage inhabituel d’animaux des profondeurs, fournissant potentiellement des milliers de kilos de matière organique à un écosystème par ailleurs oligotrophe, c’est-à-dire pauvre en matières nutritives.
Par exemple, la carcasse d’une baleine grise adulte de 10 mètres de long découverte en 2002 a fourni plus de 20 tonnes de nutriments à une communauté de charognards opportunistes à différents stades de décomposition. Les carcasses de baleines attirent un ensemble d’espèces diverses, notamment des vers polychètes, des échinodermes, des crustacés, des myxines et des requins dormeurs des profondeurs du Pacifique.
Des recherches complémentaires sont en cours pour mieux comprendre comment les carcasses des baleines grises contribuent au cycle énergétique dans la région.
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