L’écholocalisation de l’orque est essentielle pour traquer les proies et lui permettre d’être au sommet de la chaîne alimentaire. Découvrez le décryptage de ce sens extrêmement sophistiqué.
Les relations tendues entre le globicéphale et l’orque Islande
L’orque représente l’ultime prédateur de la faune sous-marine et aucun autre animal n’a pu le détrôner jusque-là. Cependant, les chercheurs travaillent sur un comportement qu’ils observent de plus en plus fréquemment, notamment en Islande : lorsque les orques et les globicéphales se retrouvent dans la même zone, il est fréquent que les premiers soient chassés par les seconds. Cela ne signifie pas que l’orque perd son statut de maître des océans, car aucun affrontement n’a lieu, mais les scientifiques sont déterminés à creuser le sujet pour expliquer ce surprenant phénomène.
Sommaire
Cet article est basé sur les recherches d’Anna Selbmann, Jörundur Svavarsson et Paul Wensveen de l’University of Iceland, ainsi que de la biologiste Filipa Samarra de l’University of Iceland‘s Institute of Research Centres. Cette dernière est aussi la chercheuse principale du projet Icelandic Orca.
Les premières observations des interactions entre le globicéphale et l’orque Islande en 2014
Les premières observations entre le globicéphale (parfois appelé « baleine pilote », la traduction littérale de son nom anglais de « pilot whale ») et l’orque Islande eurent lieu en 2014, dans les eaux agitées du sud de l’île. Filipa Samarra et son équipe de recherche étaient en train d’écouter un groupe d’orques qui alternaient des clics divers, lorsque soudain, ils eurent les oreilles déchirées par des sifflements particulièrement aigus et puissants.
Filipa Samara raconte : « Les orques se sont soudainement tues. Alors que les sifflements devenaient de plus en plus forts, un groupe de globicéphales est apparu. Les orques ont alors fait demi-tour et se sont éloignées ».
« C’est assez inhabituel, car l’orque est un prédateur supérieur », explique Anna Selbmann, doctorante à l’université d’Islande, supervisée par Filipa Samarra. « Il est très inhabituel qu’elles soient effrayées par qui ou quoi que ce soit, ou même qu’elles semblent éprouver de la peur. »
Les interactions entre les orques et les globicéphales n’ont été documentées scientifiquement que quelques fois. Filipa Samarra fait partie des premiers scientifiques à avoir observé ce comportement en Islande. Depuis la rencontre de 2014, elle a vu des interactions similaires une vingtaine de fois seulement.
Selon Anna Selbmann, dans la majorité des interactions documentées autour de l’Islande, les orques semblent éviter les globicéphales. Il arrive que les choses s’enveniment et que les globicéphales poursuivent les orques à grande vitesse, les deux espèces nageant alors à fleur l’eau.
« L’une des grandes questions que nous nous posons concerne la diversité des comportements des orques », déclare Filipa Samarra. « Nous ne comprenons pas vraiment quels sont les facteurs contextuels qui font que leur réponse diffère d’une rencontre à l’autre. »
Les hypothèses de travail sur ces étranges comportements de fuite
Les recherches antérieures — et toujours en cours à ce jour — proposent deux explications possibles pour expliquer le comportement d’évitement de l’orque en Islande.
1 — La compétition pour la prédation
La première explication concerne la compétition entre les deux espèces pour chasser leurs proies. Cependant, Anna Selbmann doute fortement de la pertinence de cette hypothèse. Elle l’estime peu probable, car l’orque d’Islande se nourrit majoritairement de hareng, tandis que les globicéphales de la région préfèrent les calmars.
2 — La théorie du « mobbing » anti-prédateur contre l’orque Islande
La seconde hypothèse est celle du « mobbing » anti-prédateur que l’on peut traduire littéralement par intimidation ou persécution.
Anna Selbmann l’explique ainsi : « L’autre théorie consiste à l’appréhender comme un comportement de mobbing anti-prédateur. Beaucoup d’animaux intimident leurs prédateurs pour les priver de l’élément de surprise. Par exemple, les suricates jettent du sable sur les serpents.
Toutefois, cette explication n’est pas totalement convaincante, étant donné que les orques ne sont pas connues pour manger les globicéphales. Les épaulards ne constituent vraiment pas une menace pour les baleines pilotes ».
Et si cela provenait d’un malentendu ?
Anna Selbmann s’interroge sur la perception des orques par la baleine pilote : nous savons que l’orque d’Islande n’est pas une menace pour les globicéphales, car, dans cette région, elle ne se nourrit que de poissons… mais le globicéphale, lui, ne le sait pas. En effet, dans bien d’autres régions du monde, les épaulards transients* se nourrissent de mammifères marins de toutes les tailles, y compris la plus grande d’entre elles, la baleine bleue.
*Retrouvez la classification des épaulards dans l’article Les groupes d’orques : transient, résident ou hauturier.
Serait-il possible que les globicéphales qui croisent dans la région aient inscrit dans leur mémoire collective que l’orque constitue une menace, en faisant abstraction des régimes alimentaires qui diffèrent d’une population d’orques à une autre ?
Il serait envisageable que l’information erronée ait pu se transmettre entre les différentes populations de globicéphales et se communiquer de génération en génération. Le cas échéant, l’épaulard serait considéré comme une menace dans toutes les circonstances, d’où l’intérêt pour la baleine pilote de mettre en œuvre sa stratégie du mobbing anti-prédateur.
Vidéo de globicéphales et d’orques
Cette vidéo publiée sur YouTube prétend filmer une poursuite entre des globicéphales et des orques. À mon avis, il n’en est rien, car jamais les deux espèces n’apparaissent en même temps sur les images. Je vous propose cependant le lien, juste pour la beauté des images…
Tableau récapitulatif des observations des interactions entre le globicéphale et l’orque Islande
Les projets de recherche des scientifiques étendues au monde entier
Ces observations qui bouleversent quelque peu la perception de l’orque et de ses rapports avec les autres animaux interrogent de nombreux scientifiques et les recherches n’en sont qu’à leurs prémices.
Steve Ferguson, un écologiste spécialiste des mammifères marins à l’Université du Manitoba estime que les observations sont inhabituelles parce que dans beaucoup d’autres endroits, les orques sont des prédateurs de premier plan et les autres petits cétacés ont tendance à les éviter.
Toutefois, quelques témoignages d’espèces de proies plus petites attaquant les orques ailleurs qu’en Islande commencent à circuler. Les observations ne sont pas encore suffisamment nombreuses pour en tirer des conclusions, mais assez fréquentes pour que les chercheurs commencent à s’intéresser de plus près aux interactions inhabituelles entre les différentes espèces de cétacés.
D’après Steve Ferguson, des scientifiques ont déjà répertorié d’autres cas étranges, comme la façon dont les baleines à bosse semblent défendre d’autres baleines contre les attaques des orques. Il est donc fort à parier que des projets s’attachant à ce sujet se développent prochainement.
Pendant ce temps, en Islande…
Revenons à nos orques d’Islande. Pour percer leur secret et comprendre ce qui pourrait être à l’origine de leur fuite en présence des baleines pilotes, Anna Selbmann et Filipa Samarra réalisent actuellement des expériences de reproduction acoustique.
Des recherches antérieures menées en Norvège ont montré que lorsque des scientifiques faisaient écouter des sons d’orques à des globicéphales, ces derniers nageaient en direction des sons, allant jusqu’à se précipiter sur le bateau des chercheurs. « Nous voulons maintenant tester l’inverse », explique Anna Selbmann. « Les orques vont-elles éviter les sons émis par les globicéphales et fuir ? »
Anna Selbmann et Filipa Samarra ont passé l’été 2021 à diffuser les enregistrements des globicéphales aux orques équipées de balises de suivi. Jusqu’à présent, elles ont mené leur expérience sur seulement quatre épaulards. Bien que les appels des globicéphales ne les aient pas immédiatement effrayés, quelques-uns d’entre eux se sont éloignés.
Les observations vont bien sûr se poursuivre, afin de pouvoir en tirer des conclusions plus pertinentes…
Pour en connaître davantage sur l’orque d’Islande et son système de communication, découvrez l’article Une langue commune pour les orques d’Islande et des îles Shetland.
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