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Grand blanc, un requin à sang chaud

L’avantage du grand blanc d’être un requin à sang chaud

Le requin blanc (Carcharodon carcharias) impressionne par son imposante taille, mais aussi par son agilité et son adaptation, où qu’il se trouve, pour mettre au point des techniques de chasse efficaces. Pour cela, il dispose de qualités physiques exceptionnelles, notamment parce qu’il est un requin à sang chaud. Cette particularité le classe parmi les requins privilégiés qui peuvent croiser dans toutes les eaux, y compris les plus froides, et utiliser la vitesse, tandis que les requins à sang froid sont obligés de nager lentement.

Une formidable vidéo ci-dessous explique dans le détail et de façon très didactique le mécanisme complet de la régulation de la température du requin à sang chaud, en comparant le grand blanc à d’autres requins à sang froid.

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L’étude sur le requin à sang chaud

Le grand blanc n’est pas le requin le plus rapide du monde, mais il se classe cependant parmi les meilleurs, avec des pointes à plus de 40 kilomètres-heure. Sa vitesse de croisière reste lente, entre 3 et 5 kilomètres-heure. Le requin le plus rapide du monde, le mako, est aussi un requin à sang chaud.

Les scientifiques qui se sont penchés sur les mécanismes de régulation de la température ont compris pourquoi le requin à sang chaud peut nager plus vite que ses homologues à sang froid. L’étude est intitulée Endothermy makes fishes faster but does not expand their thermal niche, littéralement « L’endothermie rend les poissons plus rapides, mais n’élargit pas leur niche thermique » et fut publiée en juin 2021.

L’étude a été menée par une équipe internationale de chercheurs, sur des poissons à sang chaud (endothermiques), tels que le grand requin blanc et le thon rouge de l’Atlantique (Thunnus thynnus). Ces deux espèces régulent leur propre température corporelle et sont capables d’atteindre des vitesses de pointe impressionnantes.

Cependant, les conclusions de l’étude démontrent qu’ils ne couvrent pas pour autant une gamme plus large de températures. L’étude fournit l’une des premières preuves directes que cet avantage évolutif sert un autre objectif.

« La vitesse de nage plus rapide des poissons à sang chaud leur confère probablement des avantages compétitifs dans des domaines tels que la prédation et la migration. En ce qui concerne la prédation, les capacités de chasse du requin blanc et du thon rouge permettent de comprendre pourquoi leur sang chaud peut offrir un avantage concurrentiel », a déclaré le docteur Nicholas Payne, co-auteur de l’étude.

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Un requin blanc nageant en surface avec un dispositif de biodétection fixé à sa nageoire dorsale. Ce boîtier enregistre la température, la vitesse de nage, la profondeur, les mouvements du corps et des séquences vidéo © Andrew Fox

Requin à sang chaud ou requin à sang froid, quels sont les avantages ?

Au fil de l’étude, les chercheurs ont découvert que toutes les espèces de poissons n’ont pas le sang froid (ectothermes). Certaines ont acquis des capacités évolutives pour réchauffer leur corps afin de rester plus chaud que la température de l’eau qui les entoure. Cependant, le type d’avantages que cette adaptation a conféré à ces poissons reste en partie incertain.

« Certains pensaient que le fait d’avoir le sang chaud leur permettait de nager plus vite, les muscles plus chauds ayant tendance à être plus puissants, tandis que d’autres pensaient que cela leur permettait de vivre dans une plus large gamme de températures et donc d’être plus résistants aux effets du réchauffement des océans résultant du changement climatique », explique Lucy Harding, auteur principale de l’étude.

L’équipe a donc exploré ces deux scénarios potentiels. Les auteurs ont utilisé des ensembles de données existants et ont acquis des données sur des poissons osseux, ainsi que des requins cartilagineux.

Ils ont fixé des dispositifs de biodétection aux nageoires des animaux qui leur ont permis de recueillir des informations telles que la température des eaux rencontrées par les poissons, la profondeur des eaux dans lesquelles ils ont nagé, ainsi que la vitesse à laquelle les poissons ont nagé pendant une grande partie de la journée.

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Le requin à sang chaud plus rapide que les autres

Les auteurs ont constaté que, par rapport aux poissons à sang froid, les poissons à sang chaud nagent environ 1,6 fois plus vite. Cependant, ils ne vivent pas dans des plages de températures plus larges.

Selon l’étude, les poissons endothermes régionaux possèdent la capacité de préserver la chaleur acquise par le métabolisme, grâce à des échangeurs de chaleur vasculaires à contre-courant et d’augmenter la température des tissus internes, ce qui se traduit par une vitesse accrue.

De plus, l’étude indique que la vitesse étant un facteur crucial du taux métabolique des poissons, les résultats impliquent que les poissons à sang chaud ont des besoins énergétiques inférieurs aux estimations existantes.

« En outre, et contrairement à certaines études et opinions antérieures, nos travaux montrent que ces animaux ne vivent pas dans des plages de températures plus larges, ce qui implique qu’ils peuvent être également menacés par les effets négatifs du réchauffement des océans. Des résultats comme ceux-ci, déjà intéressants en soi, sont très importants, car ils peuvent contribuer aux futurs efforts de conservation de ces animaux menacés », a conclu Nicholas Payne.

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Découvrez une autre particularité du requin à sang chaud dans l’article La peau du requin blanc : une structure de haute technologie.

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Le mécanisme de régulation du requin à sang chaud

La vidéo ci-dessous a été traduite et sous-titrée pour une meilleure compréhension. Toutefois, les informations étant denses et s’enchaînant rapidement, vous trouverez en dessous la transcription des sous-titres.

Traduction de la vidéo présentant le mécanisme de régulation du requin à sang chaud

Chez les vertébrés, les animaux utilisent typiquement une de ces 2 stratégies pour réguler leur température corporelle. D’un côté, on a les oiseaux et les mammifères endothermes, ou animaux à sang chaud, capables de physiologiquement réguler leur température interne dans une étroite fourchette optimale.

D’un autre côté, on a les ectothermes, ou animaux à sang froid. Ils ne peuvent pas maintenir une température corporelle constante. Alors à la place, ils doivent compter sur des sources de chaleur ambiante. En conséquence, leur température corporelle fluctue avec la température de leur environnement. Ce groupe inclut les reptiles, les amphibiens, et les poissons, dont la plupart des requins.

À cause des limites de l’ectothermie, les animaux à sang froid prospèrent particulièrement dans les environnements chauds et y sont très diversifiés. Les requins, par exemple, sont les plus abondants dans les eaux tropicales et subtropicales où la température de l’eau est idéale pour permettre la vie en tant que prédateurs à sang froid.

Les requins qui vivent dans les eaux plus froides de plus hautes latitudes ou de plus grande profondeur n’ont pas ce luxe et font généralement face à d’importantes limites. Les requins dormeurs, un groupe de requins qui parvient à vivre dans les régions les plus froides de nos océans, doivent vivre avec un métabolisme très lent pour faire face aux températures glaciales. Ça ne limite pas seulement leur taux de croissance, mais aussi leur vitesse. C’est l’un des poissons qui nagent le plus lentement dans l’océan.

Cependant, un petit groupe de requins a réussi à surpasser les limites de la vie en eau froide sans sacrifier leur vitesse, leur agilité, ou leur taux de croissance. Ils ont évolué de telle manière qu’ils peuvent élever et maintenir des températures corporelles au-dessus des températures de l’eau qui les entoure, devenant donc endothermiques. Le plus célèbre d’entre eux est le grand requin blanc.

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Seulement 7 espèces de requins, toutes de l’ordre des requins lamniformes, ainsi que quelques représentants des thons et des poissons porte-épée (espadon) possèdent cette capacité unique. À travers certains procédés métaboliques, ces poissons peuvent maintenir des températures corporelles de certaines parties de leurs corps qui sont entre 5 et 14 °C au-dessus de la température de l’eau ambiante. Voyez ça comme une sorte d’endothermie localisée.

Pour les grands blancs, cela signifie que leurs flancs et leurs viscères sont chauds alors que leur cœur et leurs branchies sont froids. C’est un avantage évolutif qui permet de parcourir de grandes distances en eaux froides ou de plonger à grande profondeur, prenant l’avantage de la riche alimentation qu’il y a, tout en étant capable de fonctionner efficacement pour attraper des proies rapides ou agiles comme les mammifères marins.

De plus, cela chauffe aussi leur cerveau, réduisant le risque de type « gel du cerveau » et améliorant leur vue quand ils chassent en eaux froides. Cela permet aussi une vitesse de digestion augmentée leur donnant un accès plus rapide à l’énergie de leur nourriture.

Mais en gardant leurs petits dans un utérus chaud, les lamniformes peuvent même améliorer le développement de leurs embryons, permettant de courtes périodes d’ajustement et de plus hauts taux de naissances. Les chercheurs suspectent que tout cela est un puissant moteur derrière l’incroyable succès de l’espèce des grands blancs.

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Mais comment réalisent-ils l’endothermie, exactement ?

Comme les humains, les requins ont un circuit circulatoire fermé qui fournit les muscles et autres organes en oxygène et se débarrasse du CO2 et autres déchets. Cependant, contrairement aux humains, l’échange gazeux n’a pas lieu dans les poumons, mais dans les branchies. De plus, l’échange gazeux n’est pas dans un circuit séparé qui renverrait d’abord le sang oxygéné dans le cœur.

À la place, le sang est envoyé directement à travers le corps, après être passé par les branchies. C’est ici que les systèmes des requins à sang froid et à sang chaud commencent à se séparer. Chez la plupart des requins, les muscles nageurs rouges sont localisés le long des flancs directement sous la peau. La grande aorte dorsale, longue artère centrale, les fournit avec l’oxygène nécessaire grâce à quelques branches artérielles.

Ensuite, le sang riche en CO2 est pompé de nouveau vers le cœur via la veine centrale. La plus grande partie de la chaleur métabolique des requins est générée dans leurs muscles, pendant qu’ils nagent. Mais comme l’eau conduit la chaleur 10 à 20 fois mieux que l’air, cette chaleur est normalement immédiatement émise par la peau et les nageoires et perdue dans l’environnement, ne résultant en aucune hausse significative de la température.

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Mais les grands blancs ont évolué de telle façon qu’ils peuvent grandement réduire leur perte de chaleur et donc maintenir une température corporelle élevée. Cela est uniquement possible grâce à une série de modifications de la structure de leurs muscles nageurs et de leur système circulatoire.

Le premier changement important est que les muscles nageurs rouges sont profondément enfouis dans le corps du requin, de chaque côté de l’épine dorsale. De plus, ils sont beaucoup plus gros. Chez les thons, 75 % de la masse corporelle est composée de ces muscles.

Le muscle rouge, comparé avec le muscle blanc prédominant des poissons à sang froid, est beaucoup plus puissant et produit plus de chaleur, en conséquence. Cependant, pour ce faire les muscles ont besoin d’un plus grand apport en oxygène. L’oxygène additionnel est apporté par de grosses artères sur les flancs du poisson qui redirigent le sang vers l’intérieur dans un dense maillage de petites artères et veines. Ce fin réseau est appelé « rite mirabile » qui se traduit par « réseau merveilleux ».

Chez certains poissons à sang chaud, un retour additionnel est fait de fines ramifications vers l’extérieur à partir de l’aorte dorsale, mais c’est spécifique à une espèce.

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Alors, comment ces changements piègent-ils la chaleur dans le corps ?

Un premier facteur est certainement que grâce à l’arrangement central des muscles nageurs, beaucoup moins de masse de muscle rouge est en contact direct avec l’eau, ce qui réduit la perte de chaleur immédiate.

Mais, beaucoup plus important, c’est l’important échange de chaleur à contre-courant permis par le dense réseau veineux qui fournit les muscles en oxygène. Cet échange de chaleur facilite la rétention de chaleur dans le muscle rouge.

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Mais comment ça marche ?

Grâce aux innombrables petites artères et veines qui passent très près les unes des autres, emportant le sang dans des directions opposées, le retour sert d’échangeur de chaleur. À travers cette intime circulation de sang à contre-courant, la majeure partie de la chaleur est transférée des veines aux artères et revient ensuite au muscle qui l’a produite à l’origine.

Contrairement aux systèmes de flux simultanés, où l’échange continu de chaleur entre les 2 liquides finira forcément par un équilibre qui se trouve quelque part entre les deux températures d’origine, dans un système à contre-courant, la chaleur échangée est constamment ramenée au muscle, poussée en arrière par du nouveau sang froid.

Ça signifie que le courant du haut aura toujours la température la plus froide et plus de chaleur peut être échangée. Ici, un équilibre est seulement atteint quand presque toute la différence de température d’origine a été échangée. C’est ce qui rend l’échange à contre-courant si efficace comparé à l’échange de courants simultanés, car presque toute la chaleur métabolique dans le sang veineux est transférée au sang artériel, en conservant donc presque toute la température des muscles.

En comparaison, voilà de nouveau le poisson à sang froid. Le peu d’axes qui apportent la chaleur du muscle rouge dans cette configuration ne sont pas du tout assez denses et assez proches les uns des autres pour permettre un échange de chaleur à contre-courant.

Et même s’ils l’étaient, ça voudrait juste dire que la chaleur est dirigée de nouveau vers les flancs du requin, où elle serait rapidement perdue dans l’eau. C’est pourquoi cette structure interne ne pourra jamais préserver la chaleur. Mais l’échange à contre-courant n’est pas seulement utilisé dans les muscles des poissons à sang chaud. C’est très commun dans la nature et possède une variété d’utilisations. Son usage n’est pas non plus limité à la chaleur. Il fonctionne tout aussi bien pour les gaz et les liquides dissouts.

Par exemple, presque tous les poissons utilisent des systèmes similaires dans leurs branchies pour rendre l’échange gazeux avec l’eau aussi efficace que possible. Les baleines l’utilisent pour minimiser la perte de chaleur par leur langue quand elles s’alimentent par filtration. Un arrangement similaire aux baleines empêche d’importantes pertes de chaleur dans les jambes des chiens et renards arctiques. Mais les contre-courants ne sont pas seulement utilisés pour rester chaud.

Les moutons, par exemple, l’ont dans leur cerveau pour empêcher l’importante chaleur corporelle d’entrer dans le cerveau et de causer des dommages cérébraux quand ils courent pendant de longues périodes. Ça aide même des animaux du désert à rester hydratés en réabsorbant autant d’eau que possible de leur urine.

Comme vous le voyez, l’échange à contre-courant a une multitude d’applications chez de nombreuses espèces d’animaux.

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Pas juste chez les requins !

Et dans la plupart des cas, ce n’est pas juste important, mais vital pour leur survie aujourd’hui. Cela nous laisse cependant avec une question.

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Pourquoi, et surtout comment la capacité à réguler et élever la température corporelle évolue-t-elle chez les poissons ?

Et si cette capacité est si essentielle à leur succès alors pourquoi, dans un océan rempli de milliers d’espèces de poissons différentes seulement une poignée d’entre eux la possèdent ?

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L’étude de référence de cet article est Endothermy makes fishes faster but does not expand their thermal niche, réalisée par Lucy Harding, Andrew Jackson, Adam Barnett, Ian Donohue, Lewis Halsey, Charles Huveneers, Carl Meyer, Yannis Papastamatiou, Jayson M. Semmens, Erin Spencer, Yuuki Watanabe, Nicholas Payne.

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