L’écholocalisation de l’orque est essentielle pour traquer les proies et lui permettre d’être au sommet de la chaîne alimentaire. Découvrez le décryptage de ce sens extrêmement sophistiqué.
Les orques de Crozet
Les orques de Crozet constituent une population unique, autour d’un archipel surpeuplé d’éléphants de mer, otaries et manchots, mais totalement inhabitée par l’homme. Je vous propose dans cet article de faire plus ample connaissance avec ces épaulards du bout du monde qui pratiquent notamment la très spectaculaire pêche à l’échouage qui consiste à happer sur la plage les lions de mer imprudents.
Sommaire
L’archipel de Crozet
Commençons par situer l’action. L’archipel Crozet est également appelé archipel de Crozet, archipel des Crozet ou encore îles Crozet. Il s’agit d’un archipel situé dans le sud-ouest de l’océan Indien, intégralement situé sur la plaque antarctique. Comme vous le voyez sur la carte, il se place en dessous de Madagascar et au-dessus de l’Antarctique, dont il est distant de 2 155 kilomètres.
L’archipel de Crozet constitue l’un des cinq districts des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). Étendu sur 352 km², il est composé de cinq îles volcaniques dont la plus élevée à l’est culmine à 1 050 mètres d’altitude.
L’archipel des Crozet est divisé en deux groupes distants d’environ 110 kilomètres. Le groupe occidental comprend les Cochons, les Apôtres et les Pingouins appelé îles Froides par Marion Dufresne qui les découvrit en 1772. Le groupe oriental comprend l’île de la Possession et l’île de l’Est.
L’archipel Crozet ne compte aucun habitant humain permanent. Seuls quelques chercheurs viennent y planter leur tente pour quelques semaines, afin de collecter des informations sur la faune et la flore locales.
Bien que l’archipel soit proche de l‘Antarctique, sa température descend rarement en dessous de 0 °C et demeure dans une moyenne comprise entre 5 °C et 20 °C durant l’année. Lorsque cela arrive, il peut faire – 5 ou – 10 °C, mais les températures ne chutent pas à – 40 ou – 50 °C, comme dans des îles pas si lointaines, en direction du pôle sud.
Cependant, son climat typique de la zone subantarctique est hostile. Il est particulièrement venteux, comptant plus de 100 jours par an avec des vents dépassant les 100 km/heure. Il est aussi très pluvieux : la moyenne est de 300 jours de pluie et plus 2 500 mm par an.
Depuis 2006, ces îles et leurs eaux environnantes font partie des Réserves Naturelles Françaises (Réserves Biologiques Intégrales), administrées par le Ministère des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Elles servent de zones de reproduction, mue et alimentation des pinnipèdes : otaries à fourrure antarctiques (Arctocephalus gazella), otaries à fourrure subantarctiques (Arctocephalus tropicalis) et éléphants de mer du Sud (Mirounga leonina).
Les différentes populations des orques de Crozet
Deux types d’orques cohabitent dans les eaux de l’archipel des Crozet, le type D et le type A.
Les orques de Crozet de type A
L’orque de type A possède une tache oculaire horizontale de taille moyenne et une selle dorsale souvent peu marquée (tache grise derrière l’aileron dorsal qui est utilisée pour les identifier). Ce sont les épaulards les plus grands.
Il s’agit d’orques transientes dont l’alimentation compte les mammifères marins. Le mâle se distingue par son immense aileron dorsal qui peut atteindre 2 mètres de haut.
Les orques de Crozet de type D
Les orques de type D se caractérisent par une tache oculaire plus petite, une tête particulièrement bombée qui donne l’impression d’un nez plus aplati et leur aileron fin et falciforme. Elles sont considérées comme des orques hauturières qui fréquentent majoritairement la haute mer et sont plus difficiles à étudier.
Les populations des orques de Crozet sont étudiées depuis les années 70. Des comptages datant de 2014 estimaient à 86 le nombre total dans l’archipel : 19 groupes de 3 à 4 individus de type A et au moins 31 orques de type D.
Le régime alimentaire généraliste des orques de Crozet
Les orques de Crozet de type A adoptent un régime alimentaire assez varié. En tant qu’orques transientes, elles se nourrissent plus volontiers de mammifères marins : petit rorqual, baleine franche australe, otarie et éléphant de mer. Ici, dans l’archipel des Crozet, elles complètent leur menu avec des oiseaux marins, comme le manchot royal, ainsi que des poissons côtiers.
Le régime alimentaire des orques hauturières de type D est moins connu. Il est probablement constitué de raies, requins, calmars et poissons.
La diversité des proies suppose une diversité de techniques de chasse et les orques sont orfèvres en la matière. Elles sont expertes de la chasse en équipe, pour laquelle chacune tient un rôle déterminé. Les techniques sont enseignées de génération en génération et prennent parfois plusieurs années pour être acquises, comme la technique de l’échouage, la plus spectaculaire, mais aussi la plus périlleuse.
La technique de chasse à l’échouage est courante à Crozet, ainsi qu’en Patagonie. Depuis 2016, elle est aussi observée dans l’hémisphère nord. Retrouvez tous les détails dans l’article Attaque d’orque sur la plage : une nouveauté au Canada.
Un partage toujours équitable
À la fin de la chasse, les orques présentent la particularité de partager leur proie entre elles. « Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier » disait Victor Hugo, en évoquant sa mère qui partageait le repas. On ignore si c’est parce que les orques vivent sous un régime matriarcal, mais le partage est toujours équitable, contrairement à d’autres sociétés animales où le dominant se sert en premier et le reste de la troupe se contente des restes. Même si la matriarche peut exercer son droit de préemption, elle prend soin d’en laisser aux autres.
Chez les orques, celle qui a seulement servi de rabatteur mérite la même portion que celle qui a attrapé la proie. Les plus jeunes et les orques handicapées ou trop vieilles pour participer à la chasse ont aussi droit à leur part. Malgré tout, il peut y avoir quelques disparités au cours d’un partage, surtout avec de petites proies comme les manchots, mais la prochaine proie permettra d’équilibrer la répartition ; chez les orques, la famille passe avant tout.
Ceci est valable pour les orques du monde entier et pas seulement pour les orques de Crozet.
Les techniques de chasse des orques de Crozet
Dans les îles de l’archipel Crozet, les orques chassent les jeunes éléphants de mer, les manchots et les otaries imprudents qui s’aventurent sur la plage ou dans l’océan pour, eux aussi, aller pêcher leur repas.
La technique de la chasse à l’échouage
Les cétacés savent que d’octobre à fin décembre, la baie de la Petite Manchotière, la baie du Marin ou la baie Américaine constituent des zones assidûment fréquentées par les mammifères marins.
Souvent pratiquée en Patagonie, la technique de la chasse à l’échouage est parfaitement maîtrisée par les orques de Crozet. Elle nécessite des années d’apprentissage, car elle est très dangereuse pour le cétacé qui risque l’échouage s’il s’y prend mal.
La chasse au manchot
Les manchots vivent disséminés sur les différentes îles. On trouve 4 types de manchots dans l’archipel des Crozet : gorfou doré, manchot royal, gorfou sauteur, manchot papou.
La chasse au manchot est plus classique, mais elle ne doit souffrir aucune approximation pour être efficace. Les manchots sont extrêmement agiles et rapides, il est impératif que les orques qui l’encerclent ne lui laissent aucune chance de se faufiler.
La compétition entre les orques de Crozet et les pêcheurs de légines
La légine australe (Dissostichus eleginoides) est une espèce de poisson des mers froides australes à très forte valeur commerciale. Le problème est que sa chair blanche et fondante est autant appréciée des hommes que des orques. Une légine adulte peut atteindre plus de 2 mètres pour un poids de 80 kilos, ce qui représente une proie de choix.
La légine est un poisson démersal, ce qui signifie qu’elle passe le plus clair de son temps dans les profondeurs, allant jusqu’à 2 000 mètres. On la trouve majoritairement sur les plateaux sous-marins et autour des îles des régions subantarctiques, et donc dans l’archipel des Crozet.
Depuis les années 1990, ce poisson a fait l’objet d’un véritable engouement de la part des pêcheurs qui se sont mis à la pêcher abondamment, n’hésitant pas à la braconner dans les zones protégées. Sa valeur marchande est très intéressante, notamment sur les marchés asiatiques.
La pêche à la palangre des légines
La pêche de la légine s’effectue à la palangre, avec des lignes placées sur le fond qui peuvent atteindre 8 kilomètres de long et un hameçon tous les mètres. Les orques de la région profitent de la remontée de la palangre pour se servir directement sur les lignes, en décrochant délicatement les proies sans se blesser.
La déprédation des légines par les orques a peu à peu pris de l’ampleur, car il suffisait qu’un palangrier manœuvre pour qu’elles viennent se servir. Les cachalots ont aussi participé à cette pêche facile.
Entre 2003 et 2012, alors que plus de 5 000 tonnes de légines étaient pêchées, la déprédation était estimée à 2 600 tonnes de poisson. Il est facile d’imaginer la fureur des pêcheurs qui remontaient des lignes à moitié vides. Or, jusqu’en 2003, le braconnage était fréquent, car les eaux n’étaient pas surveillées. On sait que des braconniers n’ont pas hésité à lancer des explosifs dans l’eau et à tirer sur les orques, ce qui a eu pour effet de faire fuir les orques, mais aussi d’en tuer.
Cette pratique a entraîné un déclin inquiétant des orques de Crozet. Elle a de plus coïncidé avec le déclin de la population des lions de mer. Le nombre des orques de Crozet s’est effondré. On estime qu’il a été réduit de 50 % et certains pods ont carrément été éradiqués à cette époque.
Heureusement, depuis 2003, une surveillance militaire a été mise en place. La pêche illégale a depuis disparu et la zone est trop surveillée pour que des pêcheurs ne puissent porter atteinte aux orques.
Découvrez les résultats de l’étude publiée en février 2022 sur L’apprentissage des orques de Crozet pour piller le butin des pêcheurs.
Les solutions pratiques pour une cohabitation paisible entre les orques de Crozet et les pêcheurs
La pêche légale à la palangre se poursuit dans la région, mais dans un climat beaucoup plus apaisé. Les pêcheurs collaborent avec les chercheurs et testent des solutions pour cohabiter avec les orques.
Les bruits d’effarouchement ne fonctionnent pas, car les orques sont futées et ont bien compris qu’ils ne présentaient aucun danger pour elle. La pêche au casier représente à ce jour une alternative efficace en matière de déprédation, mais elle présente l’inconvénient de ne pas être suffisamment rentable. Pour l’instant, la solution la plus satisfaisante consiste à raccourcir les lignes et accélérer leur remontée pour prendre de court les épaulards.
Par ailleurs, les pêcheurs ont modifié leur emploi du temps pour se concentrer sur les mois d’octobre à décembre, pendant que les orques se concentrent davantage sur la chasse aux éléphants de mer.
Enfin, les palangriers mettent en place un calendrier qui déroute les orques. Ils travaillent sur plusieurs sites simultanément, espacés d’au moins 70 kilomètres. Une fois mises à l’eau, les lignes restent au fond plusieurs jours, le temps d’aller mouiller ou relever les lignes sur les autres sites. Les grands déplacements perdent les orques, et la remontée des poissons s’effectue avant qu’elles n’aient le temps d’arriver.
La déprédation a fortement diminué et les orques ne doivent plus compter que sur elles-mêmes. Cela permet aux pêcheurs de continuer à travailler, bien que cette modification de leur pratique entraîne des surcoûts, à cause du temps et de fuel supplémentaires.
Les chercheurs suivent de près l’évolution de la population des orques de Crozet qui reste extrêmement fragile. La population des éléphants de mer a retrouvé son dynamisme, ce qui est une bonne nouvelle pour les orques de Crozet.
Les vidéos de cet article sont extraites du documentaire Les orques de Crozet : David et les Goliaths / Réalisation Jean-François Barthod / Production Saint Thomas Productions / Auteur Bertrand Loyer
Les orques de Crozet : David et les Goliaths
Pour en apprendre davantage sur les orques de Crozet, je vous invite à regarder À l’école des orques de Crozet, un passionnant documentaire de 50 minutes qui suit l’orque Delphine et son pod. Le film est riche en informations et comporte de nombreuses vues sous-marines pour le plus grand bonheur des amoureux des orques.
À l’école des orques de Crozet
Découvrez une autre population d’épaulards dans l’article Les orques des îles Malouines dans l’Atlantique Sud.
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