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Orque bateau de pêche

L’apprentissage des orques de Crozet pour piller le butin des pêcheurs

Les orques représentent les prédateurs ultimes de l’océan. Elles ne reculent devant aucune proie et mettent au point des techniques de chasse collectives, aussi ingénieuses qu’efficaces. Mais bon, si on leur sert des mets de choix sur un plateau — ou sur une palangre en l’occurrence — pourquoi diable s’échiner à les chasser ! J’avais déjà évoqué ce sujet dans l’article sur les orques de Crozet, mais une étude récente enfonce le clou. Elle affirme que le pillage des palangres ne constitue pas seulement un repas opportun, mais il apparaît que les orques transmettent désormais leur technique à leurs congénères.

Vous en apprendrez davantage sur Les orques de Crozet dans cet article.

Orques Crozet

L’augmentation du nombre d’épaulards maraudeurs

Les orques ont repéré dès leur arrivée les premiers pêcheurs dans les eaux hostiles de l’île de Crozet, proche de l’Antarctique. Elles ont rapidement compris comment voler quelques proies au passage. En 2003, une surveillance militaire avait même été mise en place pour les épaulards de Crozet. Devenus trop gourmands, ils dépouillaient les pêcheurs qui n’hésitaient pas à utiliser des mesures radicales, comme les explosifs. Les orques avaient pratiquement quitté la région et sont revenues une fois les braconniers contrôlés.

Orques pilleurs des filets de pêche 3

Des images prises entre 2003 et 2018 dans les îles Crozet ont révélé que les orques continuent à effectuer des raids sur les pêcheries de la région, mais surtout que le nombre d’épaulards maraudeurs augmente au fil du temps.

Les orques sont des animaux qui ont d’autres centres d’intérêt dans leur vie quotidienne que la seule recherche de leur nourriture potentielle. Elles passent du temps à socialiser et à jouer, mais aussi à se transmettre leurs savoirs. Plus à l’ouest, mais sous des latitudes semblables, les orques de Patagonie passent des années à apprendre à quelques épaulards juvéniles – triés sur le volet – la technique d’échouage pour attaquer les phoques insouciants qui barbotent sur le rivage.

Brèche orque Crozet

Les orques du monde entier mettent au point des techniques de chasse différentes en fonction de leur environnement et du type de proie. À Crozet, ce sont les pêcheurs qui en sont les victimes (après les légines australes bien sûr !).

Carte archipel Crozet

L’étude de l’université de Deakin sur la déprédation des palangres par les orques de Crozet

Le phénomène de transmission de la technique consistant à piller les palangres a été étudié par des experts de l’université australienne Deakin, avec Morgane Amelot, de l’école des sciences de la vie et de l’environnement, comme chercheuse principale.

L’étude s’intitule Increasing numbers of killer whale individuals use fisheries as feeding opportunities within subantarctic populations (Un nombre croissant d’orques utilisent les pêcheries comme opportunités d’alimentation au sein des populations subantarctiques). Elle porte principalement sur la région du sud de l’océan Indien et a suivi un groupe d’orques dans les îles Crozet, entre 2003 et 2018.

Orque Crozet

Les bateaux de pêcheurs attirent naturellement bon nombre des prédateurs de la région. Certains se contentent des prises rejetées, mais les orques préfèrent les proies qui se trouvent hameçonnées aux palangres, comme le prouvent les résultats de l’enquête des chercheurs.

Orques pilleurs des filets de pêche 2

La pêche à la palangre de la légine australe

Les orques raffolent de la légine australe dont la chair est particulièrement riche. Ce poisson peut mesurer deux mètres de long pour un poids de 80 kilos. Dans ces eaux glaciales, il est important de consommer des aliments qui entretiennent la couche graisseuse qui isole du froid et donnent de l’énergie.

L’inconvénient pour les orques est que la légine australe vit souvent à des profondeurs atteignant 2 000 mètres, tandis que les prédateurs se contentent de plonger jusqu’à 300 mètres de profondeur au maximum. C’est pourquoi les palangres des pêcheurs sont si tentantes.

Trio orques Crozet

Les lignes sont placées sur le fond, sur les longueurs pouvant atteindre 8 kilomètres, avec un hameçon placé tous les mètres. Lorsque les pêcheurs remontent la palangre, il suffit aux orques d’être patientes. Elles décrochent alors délicatement les poissons des hameçons et profitent de leur butin en toute quiétude.

Les orques étant d’une grande précision, elles ne prennent aucun risque de se blesser avec les palangres, alors qu’il est dangereux de nager à proximité de la pêche au filet. Elles sont gagnantes à double titre : elles font le plein d’éléments hautement nutritifs, mais sans dépenser d’énergie pour chasser leur proie.

Orques de Crozet

L’apprentissage de la déprédation

Opportunisme ou choix délibéré dans les migrations ?

Les scientifiques se demandaient au départ de l’étude si les orques étaient là par hasard et s’improvisaient pilleuses par opportunisme ou si elles déviaient volontairement leur trajectoire au cours de leurs pérégrinations, car le bruit des bateaux de pêche leur promettait un repas « à consommer sur place » !

La seconde hypothèse paraît la plus plausible.

Attaque orque plage

L’augmentation chiffrée de la déprédation

L’étude a prouvé une augmentation spectaculaire du nombre d’orques se livrant à ces maraudes. Alors que 17 orques ont été identifiées en 2010, elles étaient 43 en 2017. Or, une seconde question s’est imposée : est-ce le nombre d’orques dans la région qui augmente ou cette recrudescence est-elle due à l’apprentissage que se transmettent les orques sur leurs techniques de chasse ?

Grâce à l’identification de chaque individu, la seconde hypothèse a pu être avérée. Pour comprendre le phénomène, les chercheurs ont suivi les deux populations d’orques subantarctiques présentes au large des îles Crozet, sur la base de photographies prises par des pêcheurs, d’autres scientifiques et des touristes.

Orques Antarctique

La région est connue pour abriter les orques de type A, ainsi que les orques de type D. Les premières sont des orques transientes, préférant les grandes proies comme les mammifères marins, mais ne dédaignant cependant pas la légine australe. Quant aux orques hauturières, on connaît peu de choses d’elles, mais on sait qu’elles apprécient également la légine.

Orques transientes Crozet

L’équipe de chercheurs a donc identifié les orques de la région de Crozet, spécifiant lesquelles s’attaquaient au butin des pêcheurs. Ils ont constaté que peu de nouvelles orques étaient arrivées dans la région. L’étude comportementale a pu prouver que les premiers épaulards à se servir sur les palangres ont inspiré les autres membres de leurs pods respectifs.

L’apprentissage est assez simple — comparé aux échouages de Patagonie — et le menu est fameux. Pourquoi se priver ?!

L’équipe pense également que, non seulement davantage d’orques apprennent à voler de la nourriture, mais aussi qu’elles le font à un rythme croissant.

Les orques de type D

Les étapes de transmission de la technique de chasse des orques de Crozet

« La transmission horizontale se caractérise généralement par une phase de démarrage où seuls quelques individus ont acquis le comportement. Vient ensuite une phase d’accélération durant laquelle les initiés montrent la technique aux autres membres de la population. Enfin, on assiste à la phase de plateau, lorsque tous les individus capables d’acquérir le comportement le font. Ensuite, la propagation s’arrête », a déclaré Morgane Amelot.

Elle ajoute : « Il existe de nombreux de mécanismes à explorer pour comprendre comment les orques ont appris ce comportement et comment il s’est propagé entre les individus et les groupes. Ce mécanisme n’existe pas seulement dans la population des orques, mais aussi chez d’autres espèces. Cette étude est un pas en avant pour comprendre comment le comportement s’est répandu dans la population des mammifères marins ».

Orque varech

On pense que les deux groupes d’orques qui vivent dans la région ont atteint ce plateau. En conséquence, le nombre de vols commis par les orques ne devrait pas croître tant que la population n’aura pas augmenté.

C’est d’ailleurs ce que les défenseurs de l’environnement espèrent vivement. À l’heure actuelle, rien n’indique que la population augmente. Elle apparaît plutôt en déclin et sa propension à se nourrir dans les pêcheries pourrait constituer un facteur contributif à son expansion.

« Cela peut comporter un niveau de risque élevé pour les orques. Elles ne s’empêtrent pas dans les engins de pêche, mais peuvent être exposées à des pêcheurs illégaux qui utilisent des pratiques létales, des armes à feu ou des explosifs, pour repousser les épaulards. Ces pratiques étaient couramment utilisées dans les années 1990 et peuvent encore l’être par des navires illégaux », a déclaré Paul Tixier, l’un des chercheurs de l’équipe.

Orques pilleurs des filets de pêche 1

Les conséquences de la déprédation des orques

Si les orques trouvent de la nourriture facilement, cette déprédation pourrait jouer en faveur de la communauté, avec notamment une influence positive sur les femelles qui se porteraient mieux et mettraient au monde des bébés orques plus résistants.

D’autre part, ce phénomène diminue la pression exercée sur les autres proies des épaulards, ce qui pourrait changer considérablement l’écosystème de la région.

Photo plage manchot

En conclusion, les scientifiques expliquent que « cette étude illustre la façon dont les activités humaines, en modifiant la disponibilité des ressources dans les écosystèmes, peuvent conduire à la propagation de nouveaux comportements chez les individus d’espèces capables d’innover, en réponse aux changements de leur environnement ».

Il y aura fatalement des gagnants et des perdants dans le dérèglement de cet écosystème, mais il est encore trop tôt pour les prédire.

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