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Narluga

Tout savoir sur le narluga, hybride du narval et du béluga

L’existence du narluga est prouvée, sans qu’il constitue (pour l’instant) une espèce, car sa capacité à se reproduire n’est pas avérée. Cependant, les parents de ce cétacé sont suffisamment fascinants pour que l’on s’intéresse à cette progéniture pour le moins originale. En effet, le narluga est issu du croisement entre un narval — sorte de licorne des mers avec sa défense de 3 mètres de long — et un béluga, cétacé entièrement blanc, surnommé le canari des mers en raison de ses vocalisations enchanteresses.

Béluga - narval - narluga

La carte d’identité du narluga

Classification scientifique du narluga
RègneAnimalia
EmbranchementChordata
Classe  Mammifères
Ordre  Artiodactyla
Sous-ordreCetacea
Super-familleDelphinoidea
Famille  Monodontidae
Hybride Delphinapterus D. leucas × Monodon M. monoceros

L’histoire du narluga commence en 1990…

Les scientifiques soupçonnaient l’existence du narluga depuis des décennies. En 1990, un scientifique du nom de Mads Peter Heide-Jorgensen tomba par hasard sur un crâne de cétacé à l’aspect étrange. Il était suspendu dans la cabane à outils d’un chasseur inuit du Groenland, Jens Larsen. L’homme déclara avoir tué l’animal pour se nourrir quelques années auparavant, ainsi que deux autres créatures d’apparence similaire. Elles ne correspondaient ni au narval ni au béluga : elles avaient la peau grise, des nageoires semblables à celles des bélugas et une queue semblable à celle des narvals.

Narluga 3
© Markus Bühler

Toutefois, le détail le plus étrange de tous se trouvait dans les mâchoires de la créature mystérieuse. Alors que les bélugas possèdent une quarantaine de dents qu’ils utilisent pour attraper les poissons, les narvals sont presque édentés et se nourrissent par succion. En effet, la défense qui dépasse de la tête du narval est une dent et il subsiste un petit ensemble de dents vestigiales situées derrière. Concrètement, rien ne ressemble à ce que nous considérons comme une dentition normale dans la bouche de la licorne des mers.

Dents narluga
Les dents du narluga © Eline Lorenzen

Le crâne mystérieux possédait 18 dents, toutes situées à l’avant de la bouche, toutes différentes et de forme étrange. Beaucoup d’entre elles portaient d’étranges spirales tournant dans la même direction que la défense d’un narval.

Mads Peter Heide-Jørgensen émit l’hypothèse qu’il s’agissait d’un individu hybride entre le narval et le béluga, ce qui apparaissait comme une idée raisonnable. Les bélugas et les narvals possèdent la même taille, partagent les mêmes eaux arctiques et sont plus étroitement apparentés entre eux qu’avec toute autre espèce. Par le passé, des individus des deux espèces avaient déjà été observés en train de nager au sein de groupes ne correspondant pas à leur espèce. Cependant, personne n’avait jamais apporté de preuves de l’existence du narluga auparavant et, à l’époque, Mads Peter Heide-Jørgensen n’avait aucun moyen de confirmer son hypothèse.

Narluga - narval - béluga

Les narvals et bélugas voisins proches dans la zone arctique

Les narvals et les bélugas évoluent indépendamment depuis au moins un million d’années. S’il est prouvé qu’ils peuvent encore se reproduire entre eux, personne ne sait à quelle fréquence cela se produit.

Les deux espèces s’accouplent à une période de l’année où la glace de mer épaisse empêche les scientifiques d’entrer en contact avec elles, si bien que nous ne savons pratiquement rien de leur mode de reproduction.

Carte de l’aire de répartition du narval et du béluga

Aire de répartition béluga-narval
Aires de répartition (a) des bélugas et (b) des narvals et (c) des localités d’échantillonnage du béluga (bleu) et du narval (vert) utilisées dans l’étude.

Les cercles représentent les échantillons de tissus utilisés dans les analyses génomiques, les triangles représentent les crânes utilisés dans l’analyse des isotopes stables. Le site de collecte du spécimen de l’étude est indiqué par un cercle rouge. La taille des échantillons dans chaque localité est indiquée. La zone grise hachurée de la figure c représente la baie de Disko et les eaux adjacentes. Illustrations de baleines en (a) et (b) par Larry Foster.

Répartition des espèces et migrations

Les bélugas et les narvals vivent dans l’Arctique. Leurs habitats se chevauchent, notamment lors des migrations hivernales vers la baie de Disko, à l’ouest du Groenland. La transformation spectaculaire de la glace de mer due au changement climatique pourrait favoriser le croisement entre les deux espèces, car elles vivent à proximité l’une de l’autre.

Pour l’instant, la baie de Disko au Groenland constitue la seule aire connue commune aux narvals et aux bélugas. Il semble d’ailleurs que les parents du narluga pêché par Jens Larsen se soient rencontrés à Disko.

Béluga

L’étude d’Eline Lorenzen et Mads Peter Heide-Jørgensen sur le narluga

Près de 30 ans après sa découverte, Mads Peter Heide-Jørgensen fit équipe avec Eline Lorenzen, biologiste de l’évolution au Musée d’histoire naturelle du Danemark, pour analyser l’ADN des dents du crâne trouvé au Groenland. Les résultats confirmèrent ce que Heide-Jorgensen pensait depuis longtemps : le crâne appartenait bien à un hybride narval-béluga, le premier jamais confirmé.

L’identité génétique du narluga a été confirmée en 2019 lorsque le génome du spécimen a été séquencé. L’équipe a publié ses conclusions dans la revue Scientific Reports.

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Les caractéristiques du narluga

Crânes de narluga
a – crâne de narval / b – crâne de narluga / c – crâne de béluga © Eline Lorenzen

 Le crâne et les dents

Le crâne d’un béluga est très différent de celui d’un narval. Les deux espèces possèdent un crâne allongé. Cependant, les narvals possèdent un rostre plus court et plus robuste que les bélugas. Le narluga affiche un rostre plus large et plus long que celui du béluga et plusieurs dents horizontales, semblables aux défenses des narvals.

Lorsque l’équipe de recherche a analysé les dents du crâne du narluga, elle a trouvé des signatures de carbone beaucoup plus proches de celles d’un morse que de celles d’un narval ou d’un béluga. Cela signifie que le narluga tirait la majeure partie de sa nourriture des fonds marins — probablement des palourdes et d’autres invertébrés — tandis que ses parents se nourrissent de poissons trouvés dans les eaux supérieures. Les chercheurs supposent que le narluga utilise ses dents saillantes comme des outils pour creuser dans le sable.

« Il est possible qu’il ait été contraint d’adopter cette stratégie de recherche de nourriture parce qu’il possède une denture vraiment bizarre, déclare Eline Lorenzen. C’est incroyable qu’il ait survécu jusqu’à l’âge adulte. »

Narval 4

L’analyse de l’ADN du narluga

En analysant l’ADN extrait d’une des dents du narluga, l’équipe dirigée par Eline Lorenzen a démontré qu’il s’agissait d’un mâle, né d’un père béluga et d’une mère narval, ce qui fut très surprenant pour les chercheurs.

En effet, si les scientifiques en savent très peu sur la vie sexuelle des bélugas et des narvals, ils sont persuadés que la défense du narval constitue un atout essentiel pour sa reproduction.

« La défense du narval — que l’on ne trouve généralement que chez les mâles — est considérée comme un caractère sexuel secondaire utilisé pour la parade nuptiale et les démonstrations de séduction, a déclaré Eline Lorenzen. Or, le béluga mâle ne possédait pas de défense pour courtiser la femelle narval. Pourtant, il est clair qu’il est tout de même arrivé à ses fins ! »

Narval 5

La majeure partie de l’ADN du narluga était un mélange à parts égales entre les deux espèces, mais son ADN mitochondrial — un ensemble secondaire que les animaux n’héritent que de leur mère — était entièrement constitué des caractéristiques du narval.

Eline Lorenzen poursuit : « D’un point de vue purement morphologique, les deux espèces possèdent des testicules et un pénis de la même taille, ce qui permet l’accouplement ».

Béluga et son petit
Le petit béluga naît gris, puis devient blanc en grandissant.

Les hybrides sont-ils fertiles ?

On ne sait pas encore si les narlugas sont fertiles. Les hybrides sont rarement fertiles, mais il existe l’exemple d’un hybride de grand dauphin et de dauphin commun ayant donné naissance à un bébé fertile en captivité. Le narluga utilisé pour l’étude était un hybride de première génération et nul ne sait s’il a eu une descendance.

La seule certitude est qu’il s’agissait d’un individu adulte, ce qui est prouvé par le degré de fusion des os du rostre. Malgré les analyses, il demeure impossible de déterminer s’il était ou non fertile.

L’hybridation du narval et du béluga à l’origine du narluga

Les exemples d’hybridation chez les baleines et dauphins

Aussi étrange que le narluga puisse paraître, il n’est que le plus récent d’une longue série d’accouplements connus entre différentes espèces de baleines et de dauphins. Les scientifiques ont déjà enregistré des dizaines de cas d’hybridation chez les baleines et les dauphins.

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Le nombre de chromosomes favorise l’hybridation

Les cétacés possèdent pour la plupart le même nombre de chromosomes dans chaque cellule, à savoir 44. Seule une minorité d’entre eux possède 42 chromosomes. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils ont tendance à mettre au monde davantage d’individus issus d’une hybridation que les autres mammifères.

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Les précédents

Une étude poursuivie en 2016 sur l’hybridation des cétacés a observé 20 de ces hybrides, dont seulement sept en captivité. Les dauphins semblent particulièrement « ouverts d’esprit » et prêts à des aventures en dehors de leur espèce. Il existe des comptes rendus publiés de grands dauphins communs se reproduisant avec des dauphins de Guyane, des dauphins à bec étroit, des dauphins de Risso, des dauphins à flancs blancs du Pacifique, des dauphins communs à long bec, des dauphins tachetés de l’Atlantique et des grands dauphins de l’océan Indien, ainsi que des globicéphales de Siebold et des fausses orques.

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Des unions fertiles ont déjà été répertoriées entre les dauphins à long bec et les dauphins tachetés pantropicaux, les dauphins obscurs et les dauphins aptères australs, et même les baleines bleues et les rorquals communs.

Ce ne sont là que les hybrides dont nous avons connaissance. « Il est fortement probable que de nombreux hybrides vivants observés dans la nature ne soient pas reconnus comme tels », précisent les auteurs de l’étude de 2016.

L’analyse a révélé que la plupart des exemples d’hybridation de cétacés ne se produisaient pas nécessairement entre des espèces étroitement liées. Seuls quatre de ces hybrides appartenaient à des espèces dites sœurs, ou à celles qui se sont séparées le plus récemment les unes des autres (dont le narval et le béluga sont un exemple). Deux seulement appartenaient au même genre. Les autres étaient issus d’espèces plus éloignées. Selon cette étude, la capacité des cétacés à se reproduire semble extrêmement élevée par rapport aux mammifères terrestres.

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Le jeu social responsable de la flexibilité sexuelle des mammifères marins ?

Si les scientifiques ne peuvent pas encore expliquer pourquoi les baleines et les dauphins sont si flexibles en matière d’accouplement, ils avancent l’hypothèse qu’il s’agit d’une dérive du jeu social. En effet, l’expérimentation par de jeunes animaux de comportements qu’ils utiliseront plus tard s’effectue sur des cibles qui ne sont pas destinées à procréer, comme les membres du même sexe ou d’une autre espèce. Toutefois, certains mâles se livrant à de tels essais acquièrent une expérience qu’ils continuent à exercer à l’âge adulte.

D’autre part, certains individus séparés de leur groupe sans qu’on en connaisse la raison sont parfois adoptés par un pod d’une autre espèce. C’est le cas du narval du fleuve Saint Laurent vivant depuis 2016 avec des bélugas.

Le détail de cette histoire est racontée dans l’article Bientôt un bébé narluga dans le fleuve Saint Laurent ?

Pod bélugas

Narluga ou bélugal ?

Lorsqu’on nomme des animaux hybrides, les conventions veulent que l’espèce du père soit placée en premier dans le mot-valise qui désigne la progéniture. Un ourson né d’un ours polaire mâle et d’une femelle grizzly est un pizzly, mais celui dont le père est un grizzly et la mère une ourse polaire est un grolar.

Techniquement, le crâne trouvé dans la cabane à outils de Jens Larsen est un bélugal, et non un narluga. Cependant, le vocable de narluga utilisé depuis des décennies semblant désormais ancré dans les habitudes des chercheurs, il devrait être le seul à perdurer.

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Le narluga ne peut être pour l’instant considéré comme une espèce à part entière

Cela signifie-t-il que le narluga récemment étudié constituait l’avant-garde d’une nouvelle espèce ? Eline Lorenzen est formelle, la réponse est non. Pour qu’une nouvelle espèce voie le jour, il faudrait que les narlugas se reproduisent entre eux, ce qui n’a pas encore été attesté.

Rien ne prouve que la progéniture du narval et du béluga soit fertile, car nombreux sont les êtres hybrides à ne pas l’être. La probabilité qu’ils le soient est élevée, car les narvals et les bélugas possèdent le même nombre de chromosomes. Toutefois, ceci ne s’impose pas comme un indicateur de fertilité infaillible, mais constitue seulement un facteur favorable. Au moins deux des hybrides présentés dans l’étude de 2016 se sont révélés fertiles.

Dans tous les cas, l’hybridation demeure importante pour l’évolution d’une espèce, car elle influence son adaptation aux bouleversements de son environnement.

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Les perspectives pour le narluga, mais aussi pour ses parents

Il est impossible de déterminer les conséquences d’une hybridation massive pour les narvals et les bélugas de l’Arctique. Si les hybrides s’avèrent infertiles, comme c’est souvent le cas, ils constitueraient des impasses génétiques.

S’ils sont fertiles, les génomes mixtes de leur progéniture pourraient supplanter ceux de leurs parents respectifs. À mesure que l’Arctique se réchauffe et que sa glace disparaît, certains scientifiques craignent que des espèces autrefois isolées ne se rencontrent et ne s’accouplent plus fréquemment, nuisant ainsi à leurs propres perspectives.

Le narluga représente-t-il un événement isolé ou signale-t-il une augmentation de l’hybridation en raison de l’évolution du climat ? Dans ce cas, les croisements permettent-ils aux narvals de renforcer leur diversité génétique relativement faible en introduisant des gènes de leurs plus proches parents, ou pourraient-ils les condamner ?

Il est souhaitable qu’une telle adaptation puisse un jour constituer un avantage, surtout si la diminution des stocks de poissons et la raréfaction de la glace de mer obligent les narvals et les bélugas à s’adapter à de nouveaux habitats.

Les humains modernes portent encore les gènes des Néandertaliens, de l’homme de Denisova et de leurs autres ancêtres. Pourtant, ces groupes sont tous éteints aujourd’hui. Si les ours polaires et les narvals sont éliminés dans un monde de pizzlies et de narlugas, les bélugas et les narvals pourraient subir le même sort.

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