Requin du Groenland, tout savoir sur Somniosus microcephalus

Somniosus microcephalus — plus connu sous le nom de requin du Groenland — est aussi appelé laimargue. Les rumeurs les plus folles courent à son sujet, en particulier sur son âge, car ce (très) gros poisson pourrait vivre plusieurs siècles. La plus vieille laimargue répertoriée aurait même atteint l’âge de 512 ans lors de son observation ! Voici tout ce que nous savons aujourd’hui du vénérable requin du Groenland.

La carte d’identité du requin du Groenland

Présentation du requin du Groenland

Qui est le requin du Groenland ?

Somniosus microcephalus est le plus grand poisson de l’Arctique. Sa physionomie paraît assez étrange, tout comme son mode de vie. Il semble vivre au ralenti, se déplaçant en moyenne à 1 kilomètre par heure.

Il a peu été observé et filmé jusqu’à présent. Il faut dire qu’il vit principalement dans les profondeurs de l’océan Arctique et de l’Atlantique nord. Ces zones sombres et extrêmement froides demeurent difficiles, voire impossibles d’accès pour les plongeurs. Grâce à l’évolution technologique, des caméras montées sur des robots commencent à rapporter des images du requin, prises à de très grandes profondeurs.

Cependant, comme pour beaucoup d’autres créatures évoluant dans les abysses, nous savons encore peu de choses sur la biologie du squale. Nul ne l’a jamais vu chasser, manger, se reproduire ou n’a photographié un bébé requin du Groenland. Ainsi, les informations qui suivent sont à prendre au conditionnel. Elles résultent de diverses sources émanant de scientifiques, mais demeurent néanmoins pour certaines des hypothèses et déductions des chercheurs.

La physionomie générale du requin du Groenland

Le requin du Groenland est un poisson trapu, de forme cylindrique. Son museau est court, avec une pointe arrondie. Ses nageoires précaudales sont petites. Ses nageoires dorsales sont aussi réduites et de même taille. En revanche, sa nageoire dorsale est hétérocerque, ce qui signifie que ses deux lobes affichent une longueur différente. Il ne possède pas de nageoire anale.

La robe du requin du Groenland varie d’un individu à l’autre. Le squale peut être gris ardoise, presque noir, gris pourpré, marron et même arborer des taches blanches et des bandes foncées.

Les mâchoires de la laimargue

Ses deux mâchoires possèdent plusieurs rangées de dents de formes différentes.

Les dents de sa mâchoire supérieure sont longues, pointues et à bords lisses.

Les dents de la mâchoire inférieure sont plus grosses et plus larges avec des cuspides très obliques.

Poids et la taille du requin du Groenland

Les scientifiques estiment que le requin du Groenland continue à grandir tout au long de sa vie. C’est la raison pour laquelle ils refusent de définir une taille adulte « moyenne », comme ils le font pour la majorité des animaux qui cessent de grandir après un certain temps (comme les humains). Il semble que le squale grandisse en moyenne d’un centimètre par an.

Le requin du Groenland représente l’une des plus grandes espèces de requins et le plus grand poisson de l’Arctique. Parmi les spécimens observés, sa taille oscillait entre 2,4 et plus de 7 mètres de longueur.

Son poids est estimé entre 400 kilos et plus d’une tonne.

Population mondiale et répartition de la laimargue

La population mondiale du requin du Groenland est totalement inconnue. Il fut extrêmement répandu, mais fit l’objet d’une pêche intensive au début du XX^e siècle et jusque dans les années 1960. Étant lent et peu méfiant, ce fut un véritable massacre, avec des années pendant lesquelles plus de 30 000 proies furent capturées. Pourtant, sa chair est toxique à l’état frais, ce qui implique de la faire bouillir ou de la faire sécher avant de la consommer. Il était en fait prisé pour l’huile de son foie.

Le requin du Groenland est considéré comme une espèce menacée selon l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature). Cette considération ne repose cependant sur aucune donnée chiffrée.

L’habitat de la laimargue

En raison de leur extrême longévité, les requins du Groenland se remettent peut-être encore de la surpêche pratiquée avant la Deuxième Guerre mondiale.

« Lorsque vous évaluez la distribution des tailles dans tout l’Atlantique Nord, il est assez rare que vous voyiez des femelles sexuellement matures, et encore plus rare que vous trouviez des juvéniles », a expliqué Julius Nielsen, biologiste marin de l’Université de Copenhague et spécialiste de l’étude de la laimargue.

« Il semble que la plupart soient des subadultes. C’est logique : si la pression de pêche a été très élevée, tous les vieux animaux ne sont plus là. Et il n’y en a pas beaucoup pour donner naissance à de nouveaux. Il reste cependant une très grande quantité d’’adolescents », mais il faudra encore 100 ans pour qu’ils deviennent sexuellement actifs. »

Le requin du Groenland affectionne les eaux glaciales. Il n’est vu près de la surface que lorsque l’eau de celle-ci est suffisamment froide. Il est plus communément observé autour du Groenland et de l’Islande. Il est supposé ne fréquenter que les eaux de l’hémisphère nord, mais il ne faut jurer de rien. Partout dans le monde, les eaux profondes affichent une température qui convient à ce requin, à savoir entre 2 et 7 °C. Pour trouver sa température favorite, il peut vivre entre 1 000 et 2 200 mètres de profondeur.

La présence du requin du Groenland par 35 mètres de fond, dans l’estuaire du fleuve Saint Laurent

Un requin du Groenland, mais pas seulement

Le requin du Groenland porte ce nom, car c’est là qu’il fut d’abord observé et répertorié. En réalité, son habitat est beaucoup plus large. Il vit dans les eaux froides de l’Arctique jusqu’aux hauts-fonds, surtout en hiver, mais aussi dans les profondeurs océaniques loin des pôles.

À ce jour, il a été observé sur les côtes de l’Amérique du Nord et Europe du Nord : Scandinavie, Écosse, Canada et même jusqu’à la France et le Portugal. Toutefois, il pourrait vivre ailleurs, partout où les eaux sont suffisamment profondes et froides.

Pendant les mois d’hiver, la laimargue est régulièrement observée dans les eaux peu profondes de son aire de répartition : à Qaanaaq, dans le nord-ouest du Groenland, dans le fjord du Saguenay, ainsi que des centaines de fois par des plongeurs à Baie-Comeau, au Québec, dans l’est du Canada.

Le requin du Groenland a aussi été filmé par des caméras télécommandées à de grandes profondeurs, bien loin de l’Arctique. Il est probable qu’il soit beaucoup plus répandu qu’on ne le pense.

Reproduction du requin du Groenland

La maturité sexuelle du requin du Groenland est estimée à 150 ans, alors qu’il mesure 4 mètres de long ! Une femelle mesurant 2,85 mètres ayant été examinée en Nouvelle-Écosse était encore immature.

L’accouplement de cette espèce n’a jamais été observé, mais des femelles ont été trouvées avec des cicatrices d’accouplement sur leurs nageoires caudales. Les scientifiques supposent que, comme c’est le cas chez la plupart des requins, les mâles mordent les femelles pour qu’elles se soumettent et que le couple se stabilise dans l’eau.

La fécondation se produit de façon interne. Le requin du Groenland est ovovivipare, ce qui signifie que la femelle conserve les œufs dans son corps jusqu’à ce qu’ils soient prêts à éclore et que les jeunes naissent. La période de gestation est inconnue, toute comme la taille exacte du bébé requin à la naissance. Une femelle de 5 mètres de long a été observée avec 10 jeunes à terme, mesurant entre 38 et 42 centimètres de long.

Il est supposé que, comme chez les autres espèces de requins, les parents ne s’investissent pas dans l’éducation des bébés requins. Lorsqu’ils naissent, ils ressemblent à des miniatures d’adultes, déjà autonomes.

Régime alimentaire

Le requin du Groenland paraît être un carnivore opportuniste qui avale tout ce qui passe à sa portée. Les analyses de son estomac apportent la preuve qu’il se nourrit principalement de poissons, animaux marins, oiseaux de mer et calamars. Toutefois, des restes d’autres animaux plus insolites ont été répertoriés : baleines, phoques, chiens, chevaux, rennes, élans et ours polaires.

Le requin est particulièrement lent, se déplaçant à 1 kilomètre par heure en moyenne. Son métabolisme général fonctionne au ralenti. Il n’a jamais été observé à plus vive allure, ce qui ne permet pas de dire s’il est un prédateur capable d’effectuer une pointe de vitesse pour fondre sur une proie. Les chercheurs pensent qu’il est davantage charognard que prédateur. Cette supposition est remise en question par les becs de calamars retrouvés dans son estomac et qui pourraient indiquer qu’il est capable de chasser ces animaux qui sont des combattants hors pair.

En effet, le calamar géant et le calmar colossal sont des mollusques qui donnent du fil à retordre au cachalot, un prédateur très haut placé dans la chaîne alimentaire.

La laimargue n’a jamais été observée en train de chasser et de manger des phoques. Cependant, il lui arrive de suivre un plongeur, comme elle le ferait avec un pinnipède. Dans ces cas-là toutefois, n’accélérant jamais, elle n’a à aucun moment présenté de danger pour l’homme. Il semblerait qu’elle soit plutôt curieuse de découvrir ce drôle d’animal qui pénètre dans son monde.

Il est possible que le requin du Groenland capture des animaux en fin de vie ou des phoques épuisés, car obligés de fuir la banquise à cause d’un ours polaire.

On pense qu’il peut chasser en embuscade et profiter l’obscurité dans laquelle il évolue pour surprendre certains poissons : capelan, omble, flétan, hareng, lompe, saumon, etc.

Pas de prédateur — à part l’humain — pour le requin du Groenland

Le requin du Groenland a beau être lent, les autres animaux n’ont pas l’air de s’y attaquer. D’une taille impressionnante, on ne lui connaît pas de prédateur, à part l’homme bien sûr.

Deux rapports font état d’un cachalot qui s’en est nourri au large des côtes canadiennes. On ne sait cependant pas si le cachalot a attaqué le requin ou s’il était déjà mort.

L’incroyable longévité du requin du Groenland

Le requin du Groenland est l’espèce de poisson la plus lente pour sa taille, avec une vitesse de croisière normale d’environ de 1,2 km/h et une vitesse de croisière répertoriée la plus rapide d’un peu plus du double. Ce phénomène est lié à son faible métabolisme à qui il doit sans doute son extrême longévité.

Le requin du Groenland est le vertébré qui vit le plus longtemps, ce qui fut soupçonné pour la première fois en 1952. Un individu avait alors été recapturé au large du Groenland, alors qu’il avait été marqué en 1936. Or, il avait grandi d’environ 1 centimètre par an entre-temps.

Gros plan sur l’œil du requin du Groenland

L’œil du requin du Groenland pour estimer son âge

Ce requin possède un squelette cartilagineux mou. Il ne présente pas la calcification durcie des vertèbres que l’on trouve chez d’autres grands requins et qui permet de déterminer leur âge.

En 2009, des chercheurs ont découvert que ces requins possèdent des structures dans le cristallin de leurs yeux pouvant être datées au carbone 14 pour déterminer leur âge. Trois scientifiques danois, un physicien nommé Jan Heinemeier et deux biologistes marins, John Fleng Steffensen et Julius Nielsen, eurent les premiers l’idée d’observer le cristallin du squale.

Comme toutes les molécules organiques, le cristallin contient du carbone, y compris des traces de l’isotope radioactif carbone 14. Contrairement aux autres protéines — qui font l’objet d’un recyclage et d’un réapprovisionnement constants — le cristallin demeure stable tout au long de la vie.

Une étude des échantillons de 28 individus tués comme prises accessoires par des chalutiers ou des pêcheurs groenlandais a déterminé que le plus grand poisson, une femelle de 5 mètres de long était âgée de 392 ans, à 120 ans près. En effet, l’estimation au carbone 14 donne une fourchette et non un âge précis. Toutefois, même en considérant la fourchette basse, elle aurait eu au moins 272 ans (392 – 120). Si l’on considère la fourchette haute, elle aurait eu 512 ans (392 + 120) ans. Même en prenant l’estimation la plus basse, cet âge canonique en fait le plus vieux vertébré sur la planète.

Les chercheurs pensent que la femelle avait environ 400 ans, ce qui est déjà difficile à imaginer. Cela signifie qu’elle serait née entre 1501 et 1744, mais que sa date de naissance la plus probable se situerait au XVII^e siècle.

Le parasite de l’œil du requin du Groenland

Comme vous pouvez le constater sur les images, la plupart des requins du Groenland ont une sorte de filament qui sort de leur œil. Il s’agit en fait d’un parasite qui s’incruste et vit là, fiché dans la cornée du requin.

Ce crustacé copépode — appelé Ommatokoita elongata — est apparenté aux crabes et aux homards, mais en miniature. D’une couleur entre le blanc et le rosé, il mesure environ 30 millimètres de long.

Le parasite rend progressivement le requin aveugle, mais cela ne change pas grand-chose, car celui-ci passe le plus clair de son temps à des profondeurs où la lumière ne passe pas. Il semble que la laimargue continue nénamoins à distinguer la lumière de l’obscurité lorsqu’elle évolue dans les eaux de surface, pendant les saisons les plus froides.

Il a été suggéré que le parasite remplisse une fonction quelconque pour le requin, mais rien ne prouve qu’il s’agisse d’autre chose qu’un parasite. Les premiers observateurs ont évoqué la possibilité que le filament qui oscille parce que le requin se déplace puisse attirer les proies, mais l’idée a vite été abandonnée.

Les incroyables adaptations du requin du Groenland

Cet animal étrange s’est adapté à son environnement et a développé des mécanismes uniques pour atteindre un âge plus que respectable de plusieurs siècles !

De grandes quantités d’urée et d’oxyde de triméthylamine dans le corps

De nombreux poissons dépensent constamment de l’énergie pour équilibrer la quantité d’eau et de sel dans leur corps. La présence de concentrations élevées d’urée dans les fluides corporels signifie que l’équilibre hydrique peut être maintenu sans dépenser d’énergie par le requin. L’urée est l’un des principaux composants de l’urine que les reins éliminent dans le sang.

L’inconvénient de cette situation est qu’une forte concentration d’urée est néfaste car elle déstabilise les protéines. Pour contrecarrer cet effet, le requin du Groenland possède également de l’oxyde de triméthylamine dans ses fluides corporels, qui a lui-même d’autres avantages, car il agit comme un antigel, avec l’urée, et aide à la flottabilité.

Un excellent odorat

Étant presque aveugle à cause de ses parasites oculaires et vivant de toute façon dans les profondeurs sombres de l’océan, la laimargue utilise son excellent odorat pour rechercher des proies et des charognes dont elle se nourrit.

Toutes les adaptations anatomiques habituelles des poissons

Comme l’ensemble des poissons, le requin du Groenland est taillé pour vivre dans l’eau, grâce à :

• des nageoires pour nager ;
• des branchies pour respirer dans l’eau ;
• une forme aérodynamique ;
• une nageoire caudale hétérocerque (deux lobes de longueur différente) typique du requin : elle est plus grande en haut qu’en bas pour améliorer sa flottabilité et sa stabilité lorsqu’il nage, car les requins ne possèdent pas de vessie natatoire pour les maintenir, comme les poissons ;
• des nageoires dorsales petites et de même taille ;
• pas de nageoire anale.

Les denticules dermiques de la peau de requin

Comme chez tous les requins, la peau est entièrement recouverte de minuscules protubérances ressemblant à des dents qui améliorent son hydrodynamisme. De manière contre-intuitive, ces aspérités ténues réduisent en effet davantage les turbulences que si la peau était lisse.

De grands spiracles derrière les yeux

Les grands spiracles situés derrière les yeux forment des trous. Ce sont en réalité des fentes branchiales vestigiales. Tous les requins n’en possèdent pas. Ces spiracles sont plus grands chez le requin du Groenland que chez les autres espèces. Ils permettent au requin d’extraire l’oxygène de l’eau tout en nageant plus lentement pour conserver son énergie.

Comment vivre si vieux ?

Même si on en sait encore peu sur la longévité du requin du Groenland, les scientifiques assurent qu’il vit plusieurs siècles. Ils expliquent ce phénomène par la baisse de son taux métabolique d’abord. Par ailleurs, le froid serait un allié de taille quant à l’espérance de vie. Il semble qu’il active des gènes anti-âge qui aident le squale dans la biosynthèse des protéines. Il pourrait ainsi se débarrasser des molécules endommageant l’ADN et combattre plus efficacement les infections.

Un requin du Groenland de 512 ans, vraiment ?