L’écholocalisation de l’orque est essentielle pour traquer les proies et lui permettre d’être au sommet de la chaîne alimentaire. Découvrez le décryptage de ce sens extrêmement sophistiqué.
Les orques des îles Malouines dans l’Atlantique Sud
Cet article consacré aux orques des îles Malouines reprend les travaux des chercheurs Filippo Galimberti & Simona Sanvito pour l’ESRG – Elephant Seal Research Group.
Toutes les photos utilisées dans l’article sont attribuées à la même équipe : © Filippo Galimberti & Simona Sanvito.
Elephant Seal Research Group – ESRG – a débuté en 2013 une étude consacrée aux orques de l’île des Lions de Mer, appartenant à l’archipel des îles Malouines, aussi connues sous le nom d’îles Falkland.
Sommaire
Présentation des orques des îles Malouines
La catalogue ESRG des orques des îles Malouines
Outre l’étude comportementale, les chercheurs ont identifié individuellement chaque orque. Vous pouvez retrouver les photos et caractéristiques de chacune d’elles dans le catalogue publié en ligne par ESRG. L’identification des orques s’effectue en documentant la forme et la taille de la nageoire dorsale et la tache grisâtre de la selle qui se trouve juste derrière cette nageoire.
Pour chaque orque, le catalogue répertorie :
- des photos des côtés droit et gauche ;
- le sexe ;
- la classe d’âge ;
- l’année de la première observation ;
- l’année de la dernière observation.
Le projet ESRG concernant les orques des îles Malouines
Les orques visitent régulièrement l’île des Lions de Mer de l’archipel des îles Malouines. Le projet d’ESRG est d’étudier leur comportement, la fréquence de leurs visites, leurs techniques de chasse et la structure familiale des pods.
L’étude est aussi l’occasion de mesurer leur influence sur les populations des autres animaux de la région, et notamment les lions de mer, éléphants de mer, otaries du Sud et diverses espèces de pingouins qui constituent leurs proies.
L’étude a débuté en 2013 sur l’île des Lions de Mer. D’incalculables heures d’observation ont permis d’établir des schémas d’activité et de l’organisation sociale des orques.
Malgré ce travail minutieux, ESRG précise qu’il manque certaines pièces au puzzle. Il existe d’importantes lacunes dans leurs connaissances.
- Le travail de terrain est récent et n’a été effectué que durant quelques saisons seulement. Par conséquent, les chercheurs ne connaissent rien le l’activité passée des orques.
- De nombreux individus répertoriés n’ont été observés qu’une seule fois, ou à quelques occasions seulement. Ils ne savent pas d’où viennent ces épaulards, ni où ils sont allés après avoir été observés.
- Même les orques qui visitent régulièrement l’île disparaissent pendant des jours ou des semaines avant de reprendre leurs visites régulières. Les chercheurs ne savent pas où ils sont allés entre-temps.
L’activité des orques des îles Malouines
Les périodes d’apparition des orques par mois
Les orques sont davantage présentes en octobre et surtout en novembre, ce qui correspond à la fin de la saison de reproduction des éléphants de mer, ainsi que lorsque la concentration de bébés sevrés augmente et atteint son maximum.
Un pic secondaire est observé en février, lorsque les bébés otaries de l’année commencent à entrer dans l’eau.
Le nombre d’observations d’orques selon les heures de la journée
Les observations d’orques sont plus fréquentes durant la première partie de la journée, en début de matinée. Cela peut être lié à l’activité nocturne des orques qui reste encore peu documentée.
Cette présence plus importante en début de matinée par rapport au reste de la journée peut être liée à l’activité des éléphants de mer. Les jeunes venant d’être sevrés se reposent généralement sur terre pendant la journée, entrent dans l’eau tard dans la soirée et restent dans l’eau pendant la nuit, jusqu’au petit matin.
Les observations par secteur géographique
La distribution spatiale des observations d’orques change au cours de la saison. Elle semble liée à la distribution des proies potentielles. En novembre et décembre, les observations sont plus fréquentes dans la partie sud-est de l’île des Lions de Mer, où les éléphants de mer sevrés sont généralement concentrés. Plus tard dans la saison, les observations sont concentrées dans la zone sud-ouest, et en particulier devant la zone des rochers plats où se reproduit l’otarie du Sud.
Les effets des facteurs environnementaux et de la marée
Les effets de la marée ne sont pas flagrants. Les orques sont un peu plus nombreuses à marée haute, mais la différence avec la marée basse n’est pas assez notable pour en tirer des conclusions.
En revanche, les chercheurs ont répertorié une réduction significative du nombre d’orques observées lorsque le ressac est fort. Les épaulards sont plus généralement observés lorsque la mer est calme.
Il en va de même pour la houle qui fait fuir les orques qui reviennent lorsqu’elle a cessé.
L’identification des orques des Falkland Islands
La photo identification
L’identification des orques est principalement basée sur les caractéristiques de la tache en forme de selle qui est la zone grisâtre, située derrière la nageoire dorsale. La couleur et la forme demeurent suffisamment stables tout au long de la vie de l’épaulard pour permettre de reconnaître le cétacé d’une année sur l’autre.
Certaines des orques résidentes des îles Malouines ont été identifiées sur des photos datant de 2004. Puma par exemple, une orque femelle résidente, a été identifiée sur des photos prises entre 2004 et 2016.
Le logiciel Darwin pour l’identification de la nageoire dorsale
L’identification grâce à la tache de la selle peut être complétée par le profil de la nageoire dorsale. Dans ce cas, un logiciel de comparaison de nageoires, comme Darwin, peut aider au processus d’identification.
Le nombre d’orques de l’île des Lions de Mer
Grâce à la photo-identification, 33 orques ont été identifiées autour de l’île des Lions de Mer, dont 42 % sont des résidentes. Elles sont observées régulièrement, à chaque saison de reproduction, et pendant plusieurs années consécutives.
Les orques des Falkland Islands en goguette !
L’organisation sociale des orques des Falkland Islands
L’unité sociale de base : la mère et les bébés orques
Les orques ont un système social complexe et hiérarchisé. L’unité sociale de base des épaulards est l’association entre la mère et son bébé orque. Chaque mère peut être associée à une, deux ou trois générations de jeunes orques.
Par exemple, la femelle Puma est associée à trois bébés orques, par âge croissant : Giaba, Nene, et Tazzina. Tazzina a été observé pour la première fois en 2010, il s’agit donc d’un individu subadulte, mais il reste étroitement associé à sa mère.
Les mères et leur descendance
Les pods d’orques des îles Malouines
Le niveau supérieur de la structure sociale des orques est le pod, c’est-à-dire une association durable d’individus comprenant une ou plusieurs unités mère-baleineau. Le groupe est stable dans le temps et l’espace, et ses membres entretiennent des liens à long terme.
Les pods de Sea Lion Island atteignent une taille maximale de 13 individus. Ces groupes sont un exemple de société de fusion-fission, car leur composition peut changer au cours du temps. Les relations entre les membres d’un pod peuvent être représentées à l’aide de sociogrammes, dans lesquels l’épaisseur des lignes de connexion représente la force du lien entre les individus.
Le rôle social des recruteurs
Certains individus orques peuvent avoir un rôle particulier dans le système social, soit en favorisant la cohésion des groupes, soit en recrutant de nouveaux individus.
La femelle Lola est spécialiste pour recruter de nouveaux individus. En 2014, tous les nouveaux individus apparus à Sea Lion Island se sont regroupés avec Lola et son baleineau Ale.
L’étude comportementale des orques des îles Malouines
Les orques ont un comportement général, social et de chasse complexe. Ils utilisent de nombreux modules comportementaux et schémas d’action différents. Il n’existe pas d’éthogramme (description du répertoire comportemental) établi pour les orques.
Par conséquent, l’un des premiers objectifs des chercheurs était de décrire l’éthogramme des orques des îles Malouines. Voici un échantillon des comportements observés.
L‘étonnant comportement sexuel de deux orques des îles Malouines
Voici une vidéo pour le moins étrange qui témoigne du comportement sexuel inhabituel d’une orque adulte mâle et d’un jeune épaulard, mâle aussi, sur l’île Sea Lion.
En novembre 2018, les orques mâles adultes Ovo et Pinnone rencontrent un groupe de femelles et de baleineaux très près du rivage. Ovo commence à suivre le groupe et, après un certain temps, se concentre sur les baleineaux les plus jeunes, tandis que les femelles restent plus éloignées. Après un certain temps, Ovo commence à suivre un jeune épaulard mâle et montre les mêmes signes que s’il voulait s’accoupler. Peu de temps après, c’est au tour de la jeune orque mâle de montrer un comportement sexuel envers Ovo.
Le même type de comportement s’est poursuivi pendant plus d’une heure, alors que les femelles n’étaient apparemment pas du tout intéressées et que l’autre mâle adulte, Pinnone, se reposait tranquillement sur le fond de la mer (on peut le voir au milieu de la vidéo). C’est la première fois que de telles images ont été filmées par drone du comportement sexuel des orques de Sea Lion Island.
La patrouille
La patrouille se déroule tout près de la côte.
Le lancer d’éléphant de mer
Lors de la prédation, il est fréquent d’assister au lancement dans les airs, à plusieurs mètres de hauteur, des éléphants de mer.
Épisode de chasse spectaculaire
Noyade de la proie
L’orque noie l’éléphant de mer avant de le dévorer.
Frappe de la queue
L’orque mâle adulte frappe sa queue à la surface de l’eau.
La rude leçon de natation des jeunes orques des îles Malouines
Il arrive que plusieurs pods d’orques soient présents au même moment sur l’île des Lions de Mer. Les interactions sont sociales et ludiques. En novembre 2018, le pod de Puma et le pod de Lola et Carla se sont rencontrés. Ils ont tous joué ensemble, à quelques mètres du rivage.
De façon inattendue et soudaine, la femelle Carla a commencé à pousser un bébé orque vers la plage. Si l’on se laisse aller à l’anthropomorphisme, on est tenté de penser qu’elle tentait de le faire échouer sur le rivage. Cependant, il est plus probable qu’il s’agissait d’une leçon assez rude de natation visant à l’entraîner à se remettre à flot.
Le bébé orque a ensuite rejoint le reste du pod et a continué à jouer avec les autres. C’est le fait qu’il n’y ait aucune réaction conflictuelle dans le groupe qui incite à penser que le comportement de Carla était une leçon de survie, plutôt qu’un geste agressif.
Les tactiques de chasse des orques des îles des Malouines
Le calendrier des prédations
La plupart des tentatives de prédation sont observées en novembre et décembre, c’est-à-dire les mois où il y a la plus grande concentration de bébés éléphants de mer sevrés.
Les bébés sont sevrés début octobre, et il reste des bébés sevrés à terre jusqu’à début janvier. Leur nombre augmente fortement à partir de mi-octobre, et diminue fortement à partir de mi-décembre.
Les types de proies favorites des orques des îles Malouines
Autour de l’île des Lions de Mer, la principale cible des orques sont les éléphants de mer. Bien que les épaulards soient régulièrement observés en train de chasser des otaries, des pingouins, et même des brassemers (canards-vapeur), ils se concentrent sur les éléphants de mer. Ces gros phoques représentent l’espèce qui garantit le meilleur rapport effort de chasse/apport nutritif.
Les orques des îles Malouines à la chasse au canard
Les orques sont célèbres pour leur capacité de chasse. Dans les eaux des îles Malouines, elles s’attaquent généralement aux phoques et aux otaries. Sur cette vidéo, elles pourchassent un brassemer, ou canard-vapeur.
Les orques impliquées sont principalement de jeunes orques du groupe de Puma. Le canard a probablement servi de jeu, mais aussi de leurre pour un entraînement de chasse. Il est mort peu de temps après et les orques ont continué à jouer avec pendant un long moment, sans le manger. Elles ont finalement quitté la zone en le portant comme un jouet.
Le taux de succès de la chasse par les orques
Sur l’île des Lions de Mer, le succès de la chasse à l’orque est plus faible que la moyenne, si on le compare aux rapports scientifiques des autres régions. Le succès moyen est d’environ 50 % des tentatives, avec une grande variation entre les saisons. Pour accentuer encore le différentiel, il faut envisager que le chiffre surestime probablement le succès réel, car les prédations réussies sont plus faciles à repérer que celles qui échouent.
La prédation des éléphants de mer
Le succès de la prédation sur les éléphants de mer est assez élevé pour les bébés sevrés, avec un taux de réussite atteignant jusqu’à 70 %, mais il est plutôt faible pour les autres classes d’âge.
Dans les Falkland Islands, les orques peuvent attaquer et tuer les femelles reproductrices, les mâles subadultes, et même les grands mâles adultes. Dans ce dernier cas, ils sont généralement capables de produire de gros dégâts, mais pas assez pour tuer le phoque. La plupart des mâles adultes qui ont été attaqués par des orques ont pu regagner la plage, même si certains y sont ensuite morts des suites de leurs blessures.
Par ailleurs, des orques ont été observées après avoir tué de très grands mâles subadultes, pesant jusqu’à environ trois tonnes, et se nourrir d’eux pendant plusieurs heures, allant jusqu’à douze heures d’affilée.
Les orques des îles Malouines en train de jouer
Les orques Puma et son fils jouent dans des eaux peu profondes aux alentours de l’île des Lions de Mer, en 2016.
Les orques des Falkland Islands vues depuis un drone
Le groupe de recherche ESRG sur les éléphants de mer utilise des images et des séquences vidéo prises à partir d’un drone Phantom III pour étudier les orques de l’île des Lions de Mer. Les drones présentent des avantages significatifs par rapport aux observations terrestres et en bateau, car le drone permet d’observer les orques à courte distance, avec une vue de dessus, sans perturber leur comportement.
Des images uniques d’allaitement
L’usage du drone à permis d’observer des comportements impossibles à observer depuis la terre ou un bateau. C’est ainsi que pour la première fois, une séquence d’allaitement a pu être observée.
Merci à ESRG pour ce merveilleux travail qui nous permet d’en apprendre toujours davantage sur la vie des orques des Falkland Islands.
Bye bye depuis les îles Malouines !
Découvrez l’étude qui évoque La mue de la peau à l’origine de la migration de l’orque Antarctique et remet ainsi en cause les théories jusque-là avancées.
Découvrez une autre population d’épaulards dans l’article Les orques de Crozet.
Très belles vidéos. Intéressant comme toujours.
Je n’aurais jamais imaginé que les orques étaient sensibles à la houle.
Merci 🐬
La houle est compliquée à gérer lorsque les orques s’approchent très près de la côte pour chasser.