L’écholocalisation de l’orque est essentielle pour traquer les proies et lui permettre d’être au sommet de la chaîne alimentaire. Découvrez le décryptage de ce sens extrêmement sophistiqué.
La mue de la peau à l’origine de la migration de l’orque Antarctique ?
Une nouvelle étude portant sur l’orque Antarctique — ainsi que sur les baleines de la région — permet à une équipe de scientifiques de confirmer une théorie à laquelle ils réfléchissent depuis 2011. Celle-ci concerne la raison des longues migrations des cétacés entre les eaux les plus froides de la planète et les tropiques. Leur étude intitulée Skin in the game: Epidermal molt as a driver of long-distance migration in whales (La peau en jeu : la mue épidermique comme moteur de la migration de longue distance chez les baleines) émet l’hypothèse que les cétacés retournent sous les tropiques pour se débarrasser de leurs peaux mortes et effectuer une mue salvatrice.
Sommaire
La coloration jaune de l’orque Antarctique à l’origine de l’étude
L’orque de l’Antarctique présente souvent une coloration jaune due à l’accumulation de diatomées sur sa peau. En revanche, après un séjour dans les eaux tropicales, il affiche une robe impeccable, d’un noir dense et d’un blanc immaculé.
Au cours de l’étude menée par Robert L. Pitman — biologiste marin au Marine Mammal Institute de l’Oregon State University aux États-Unis — la mue de la peau pourrait être le moteur de la migration sur de longues distances pour toutes les baleines qui s’alimentent dans les eaux froides et pas seulement celle des orques.
Les coauteurs de l’article sont des scientifiques de NOAA Fisheries, de SeaLife Response, Rehabilitation and Research, ainsi que de l’Institut national italien pour la protection et la recherche environnementales.
Les très longues migrations des baleines et des orques dans l’hémisphère sud
Les baleines entreprennent certaines des plus longues migrations de la planète, nageant souvent sur plusieurs milliers de kilomètres, pendant de nombreux mois, pour se reproduire sous les tropiques. Les baleines à fanons sont connues pour effectuer les plus longues migrations de tous les mammifères. Les baleines grises par exemple effectuent des voyages annuels allant de 15 000 à 25 000 kilomètres entre la mer de Béring et le Mexique.
Pour de nombreuses espèces de baleines dont les baleines à bosse, les baleines franches et les baleines grises, leur migration vers les eaux tropicales chaudes coïncide avec la mise bas de leurs petits.
Cependant, si les eaux chaudes peuvent nous sembler agréables et nous faire rêver de vacances d’été, ces eaux sont en fait dépourvues de nourriture et obligent les baleines adultes à rester sans manger jusqu’à cinq mois. Pendant cette période, les tissus gras de leur lard leur fournissent l’énergie dont elles ont besoin, mais elles doivent finalement retourner dans les eaux arctiques polaires où la nourriture est abondante. Le besoin de nourriture de leurs parents devenant de plus en plus fort, chaque baleineau doit entamer un voyage long et éprouvant, alors qu’il n’est âgé que de quelques mois, voire quelques semaines.
Rorqual, manchot et orque Antarctique
Pourquoi migrer vers des eaux où la nourriture est absente ?
La question est de savoir pourquoi : est-ce uniquement pour trouver de la nourriture ou pour mettre bas que les cétacés migrent ? Dans l’étude publiée dans Marine Mammal Science, les scientifiques suggèrent que les baleines qui s’alimentent dans les eaux polaires migrent vers les basses latitudes pour conserver une peau saine.
« Je pense que les gens n’ont pas accordé à la mue de la peau toute l’attention qu’elle mérite lorsqu’il s’agit des cétacés, alors qu’elle concerne un besoin physiologique important qui pourrait être satisfait en migrant vers des eaux plus chaudes », a déclaré Robert Pitman.
Voilà plus d’un siècle que les migrations des orques et des baleines de l’hémisphère sud ont été identifiées. Il a depuis été suggéré que la plupart des baleines qui se nourrissent dans les hautes latitudes migrent vers les tropiques pour mettre bas. Pourtant, les scientifiques ne se sont jamais mis d’accord sur la raison de cette migration. En effet, rien ne prouve que les grandes baleines ne pourraient pas mettre bas dans les eaux polaires glaciales, alors que la disette les attend dans les eaux tropicales. Alors, pourquoi se donner tant de mal ?
La mue de la peau : raison numéro 1 de la migration ?
L’eau chaude accélère la mue
Tous les oiseaux et mammifères perdent régulièrement leur peau, leur fourrure ou leurs plumes au cours de la mue. Robert Pitman et ses coauteurs pensent que les baleines qui se nourrissent dans les eaux glacées de l’Antarctique conservent leur chaleur corporelle en détournant le flux sanguin de leur peau. Cela réduirait la régénération des cellules cutanées et arrêterait la mue normale de la peau.
Migrer vers des eaux plus chaudes permettrait aux baleines de relancer leur métabolisme cutané et de muer dans un environnement où elles peuvent conserver plus facilement leur chaleur corporelle. Les auteurs suggèrent que c’est ce qui motive leurs migrations.
Les grandes baleines qui migrent vers les tropiques agiraient prioritairement pour déclencher leur mue. Les naissances apparaîtraient alors accessoires dans leur décision de se déplacer. « Au lieu que les baleines migrent vers les tropiques ou les régions subtropicales pour mettre bas, les baleines pourraient se rendre dans des eaux chaudes pour entretenir leur peau et peut-être trouver opportun de mettre bas pendant qu’elles sont là », ont écrit les scientifiques. L’eau chaude pourrait accélérer la croissance des baleineaux dans un environnement où il y a beaucoup moins d’orques, leur principal prédateur.
La route migratoire de l’orque Antarctique
La mue suspectée d’être à l’origine de la migration de l’orque Antarctique depuis 2011
Les deux auteurs principaux de l’étude ont proposé pour la première fois en 2011 que la mue de la peau puisse être le moteur de la migration de l’orque Antarctique. Grâce à de nouvelles données, ils proposent maintenant qu’il en soit de même pour toutes les baleines qui migrent vers les tropiques.
Pendant huit ans, les scientifiques ont déployé 62 étiquettes satellites sur des orques. Ils ont constaté que les quatre types d’orques qui se nourrissent dans les eaux glaciales de l’Antarctique migraient jusqu’à parcourir 11 000 kilomètres aller-retour. La plupart des migrations étaient rapides, sans escale et se déroulaient essentiellement en ligne droite vers le nord, avant de faire demi-tour et de filer toujours aussi droit vers le sud. Une orque a effectué deux migrations de ce type en 5 mois et demi. Les chercheurs ont également photographié des bébés orques en Antarctique, ce qui indique que les baleines n’ont pas besoin de migrer vers des eaux plus chaudes pour mettre bas.
Les bienfaits de la mue des cétacés
Pourquoi la mue est-elle indispensable ?
Le fait de ne pas muer a un coût métabolique : tandis qu’elles accumulent des diatomées jaunes, les cellules de la peau sont moins capables de se renouveler et d’entretenir leur surface lisse et hydrodynamique.
Lorsque les cétacés retournent dans des climats plus chauds, ils éliminent les diatomées et régulent la physiologie de leur peau. La mue de la peau est une opération d’autonettoyage qui leur permet de réparer les blessures, d’éliminer les bactéries et même de grandir pour les bébés et les juvéniles. Robert Pitman raconte que certains individus photographiés de manière récurrente présentaient un jaunissement très important dans les eaux de l’Antarctique. Lorsqu’ils revenaient, ils avaient l’air d’être passés au lavage.
Un choix cornélien pour les cétacés
Pour que le processus de mue se produise chez les mammifères, la surface de la peau doit être abondamment approvisionnée en sang. Nageant dans les conditions glaciales des eaux polaires, les baleines et les orques sont confrontées à un choix difficile. Si elles choisissent d’augmenter le flux sanguin vers leurs extrémités, elles se débarrassent de la peau qui s’encrasse à cause des algues microscopiques. En contrepartie, elles risquent de refroidir leur température corporelle. Lorsqu’elles s’accumulent, les diatomées créent un film jaune protecteur sur le corps des cétacés.
La température de l’air au-dessus des mers entourant l’Antarctique et dans le cercle arctique descend souvent en dessous de — 40 °C, tandis que l’eau de l’océan avoisine le 0 °C. Bien que leur graisse offre une grande isolation à ces conditions glaciales, les baleines et les orques ne peuvent pas risquer de perdre leur précieuse couche protectrice au risque d’accélérerer la déperdition de chaleur. Elles préfèrent donc effectuer leurs immenses migrations, parcourant des milliers de kilomètres pour se prélasser dans les eaux chaudes des tropiques et s’imprégner de températures plus clémentes. Tout ce chemin parcouru aurait donc pour objectif une séance de spa, avec bains chauds et exfoliation de la peau au programme !
La mue rejette des bactéries nocives
Des études récentes ont révélé que les fortes concentrations de diatomées sur la peau de l’orque de l’Antarctique ont pour effet secondaire d’accumuler des bactéries potentiellement dangereuses.
« L’alimentation est si riche dans les eaux de l’Antarctique que l’orque, relativement petite et à sang chaud, a développé un comportement migratoire remarquable. Cela lui permet d’exploiter ces ressources tout en conservant une fonction cutanée saine », déclare John Durban, coauteur de la recherche, anciennement au centre scientifique et désormais chercheur principal chez SEA Inc.
Le même phénomène observé chez les bélugas de l’hémisphère nord
Les scientifiques citent un autre exemple : celui des bélugas de l’Arctique connus pour se rassembler en été dans les estuaires des rivières. L’eau y est plus chaude et moins profonde que leur habitat habituel. Au début, les scientifiques supposaient que les bélugas se rassemblaient là pour mettre bas et que les températures plus chaudes favorisaient la survie des baleineaux.
Il s’est avéré que les bélugas ne mettent pas bas et ne se nourrissent pas dans les estuaires, mais s’y rendent pour muer. Dans une étude antérieure, un chasseur inuit avait souligné que « les bélugas se rendent dans les rivières pour se réchauffer. Et comme les phoques, c’est pour eux l’occasion de déclencher la mue de leur peau. »
Le cycle de mue annuel du béluga a longtemps été considéré comme unique parmi les cétacés, considérant que les autres muaient en continu. Si les baleines et les orques migrent vers les tropiques pour muer, la mue annuelle « pourrait alors s’avérer être la règle chez tous les cétacés des hautes latitudes », concluent les auteurs de l’étude.
Les conséquences des migrations sur l’écosystème
En termes de biomasse, les baleines effectuent les plus grandes migrations annuelles de la planète, ce qui représente des millions de tonnes se déplaçant au sein d’une succession d’écosystèmes.
La migration de l’orque et des grandes baleines entre l’Antarctique et les eaux tropicales influence considérablement l’environnement. Ces immenses mammifères déplacent les ressources océaniques à grande échelle et contribuant aux écosystèmes locaux.
Les cétacés sont des ingénieurs du biome océanique : les orques consomment d’énormes quantités de proies, tandis que les baleines à fanons régulent la densité du plancton. En outre, les cétacés stockent de grandes quantités de carbone grâce à leur régime alimentaire. Ils les transportent vers les écosystèmes des grands fonds lorsqu’ils meurent.
Il est important de noter que la peau des baleines est riche en nutriments marins essentiels, ce qui signifie qu’en prenant soin de leur propre santé, les baleines contribuent également à fertiliser les écosystèmes côtiers qui abritent une multitude d’autres espèces. Étant donné que les migrations des baleines sont connues depuis des milliers, voire des millions d’années, ce flux vital de nutriments peut avoir eu des répercussions significatives sur la diversité de la vie sous les tropiques.
Les recherches de Robert Pitman nous permettent de mieux comprendre les migrations sur de longues distances et d’appréhender comment les ressources des écosystèmes, telles que le carbone et le fer, sont distribuées dans nos océans.
Les chercheurs appellent également à tester davantage leur hypothèse en évaluant la croissance de la peau des baleines migratrices et non migratrices, à des latitudes élevées et basses, tout au long de l’année.
Partez à la rencontre des orques des îles Malouines dans l’Atlantique Sud.
Cet article comporte 0 commentaires