Selon une étude de son génome publiée en août 2024, la population du requin blanc s’est divisée il y a environ 150 000 ans, pour ne jamais plus se croiser.
Nukumi, le plus grand requin blanc de l’océan Atlantique
Nukumi est une femelle âgée d’une cinquantaine d’années (en 2020), détenant actuellement le record de « plus grand requin blanc de l’océan Atlantique ». Elle fut marquée par une balise en 2020 par l’organisation OCEARCH. En 2021, elle entama la traversée de l’océan en direction des côtes européennes, avant de se raviser et d’opérer un demi-tour pour revenir sur les côtes américaines. Jusqu’à présent, un seul requin blanc, une femelle nommée Lydia, s’est davantage approchée des côtes européennes, sans toutefois les atteindre.
Sommaire
Pourquoi le plus grand requin blanc de l’océan Atlantique s’appelle-t-il Nukumi ?
OCEARCH est une organisation à but non lucratif qui mène des recherches sans précédent sur les géants de nos océans. Son équipe scientifique a pu marquer, prélever des échantillons et relâcher la magnifique Nukumi, remarquée pour ses dimensions exceptionnelles qui lui valent le titre de « plus grand requin blanc de l’océan Atlantique ». Elle est aussi surnommée la reine de l’océan.
Chez le requin blanc, l’une des caractéristiques du dimorphisme sexuel (différences morphologiques plus ou moins marquées entre les individus mâles et femelles d’une même espèce) concerne la taille, systématiquement plus grande chez la femelle que chez le mâle.
Chris Fischer, le chef de l’expédition OCEARCH qui suit Nukumi, explique la raison du choix de son nom : « Nukumi (prononcez nou-gou-mi) pèse 1 600 kilos pour une longueur de 5,25 mètres et son âge est estimé à 50 ans. Vous ne pouvez que ressentir un profond respect pour cet animal. Seule sa sagesse explique un si long parcours.
Grâce aux nouvelles données que nous avons recueillies, cette matriarche est une grand-mère qui nous fera profiter de sa sagesse pour les années à venir. Elle continuera à contribuer à l’équilibre des stocks de poissons dans les eaux environnantes, et nous sommes impatients d’en apprendre davantage sur cette sage gardienne de l’écosystème de notre océan ».
En langue micmaque, Nukumi signifie « grand-mère ». Les Micmacs constituent un peuple autochtone de la côte nord-est d’Amérique. Ils font partie des peuples algonquiens. Leur population est aujourd’hui disséminée entre vingt-huit groupes distincts au Canada, auxquels s’ajoute une tribu installée sur le sol des États-Unis.
La première fois que Nukumi a été observée, elle croisait dans les eaux de Nouvelle-Écosse au large d’un territoire des Micmacs.
Les missions d’OCEARCH
L’organisation OCEARCH a pour mission de ramener nos océans à l’équilibre et à l’abondance. C’est lors de sa 39e expédition — appelée Nova Scotia — que son équipe, menée par Chris Fischer, a pu marquer Nukumi, ainsi que sept autres requins blancs.
OCEARCH met à la disposition du public la carte de son tracker de requins blancs. Vous pouvez suivre en direct l’itinéraire de chacun des squales actifs dont vous apprenez le nom, les caractéristiques physiques et l’histoire.
En 2022, OCEARCH a effectué sa 43e expédition de recherche océanique, au large des États de Caroline (Caroline du Nord et Caroline du Sud) aux États-Unis. Baptisée Carolinas 2022, elle est partie de Charleston dans État de Caroline du Sud. L’expédition vise un projet très ambitieux : découvrir où et quand les requins blancs s’accouplent. Nous disposons en effet de très peu de témoignages quant à ces sujets. OCEARCH souhaite recueillir les données fondamentales nécessaires pour répondre aux nombreuses énigmes irrésolues à ce jour.
L’équipe dévouée à la préservation des squales a déjà réussi à marquer 83 requins blancs dans tout l’Atlantique nord-occidental, recueillant des données pour plus de 24 projets scientifiques. En juillet 2022, OCEARCH prévoit une expédition supplémentaire au large de Terre-Neuve, au Canada, pour atteindre son objectif de 100 requins répertoriés et équipés de balises. L’équipage se dirigera ensuite vers les eaux du Royaume-Uni et de l’Irlande, afin d’étudier les requins blancs dans l’Atlantique Nord-Est et la Méditerranée.
Si vous souhaitez en apprendre davantage sur ces recherches, consultez le document expliquant les missions d’OCEARCH.
L’expédition Nova Scotia 2020
Nova Scotia, la 39e expédition d’OCEARCH en 2020, avait pour but une recherche avancée sur les requins blancs croisant au large des côtes canadiennes de la Nouvelle-Écosse. Elle complétait le travail colossal mené en 2018.
Les deux expéditions précédentes d’OCEARCH dans la région avaient établi que la Nouvelle-Écosse constitue un haut lieu de fréquentation des requins blancs. Nova Scotia visait à augmenter la taille de l’échantillon de requins marqués et répertoriés. le but est de développer la compréhension la plus avancée à ce jour de la biologie, la physiologie, la santé et le comportement des requins blancs. Les données vitales recueillies au cours de cette expédition sont aussi utilisées pour orienter les politiques responsables de la conservation des squales et des océans.
Le premier marquage de Nukumi
Le matin du 2 octobre 2020, l’équipe de scientifiques d’OCEARCH a capturé et marqué le plus grand requin blanc qu’elle ait jamais vu dans l’Atlantique Nord-Ouest : un requin femelle de 5,25 mètres de long pour un poids de 1 600 kilos. Son âge fut alors estimé à environ 50 ans.
Ocearch – Chris Fischer directeur de l’expédition d’identification OCEARCH nous présente Nukumi, le plus grand requin blanc de l’océan Atlantique
Nukumi mère, mais tout aussi certainement grand-mère
Le nom de Nukumi signifiant grand-mère s’explique par son âge. Chris Fischer estime qu’elle a déjà dû connaître au moins quinze cycles, lui permettant de mettre au monde une centaine de petits requins blancs. Les premières progénitures ont déjà atteint la maturité sexuelle, ce qui explique le statut de grand-mère de Nukumi.
En effet, le mâle requin blanc peut se reproduire à partir de l’âge de 26 ans environ et la femelle à partir de 33 ans. Cette dernière est ovovivipare, ce qui signifie que les œufs se développent et éclosent dans son utérus. Lorsqu’il naît, le bébé requin blanc est une réplique parfaite de ses parents, en miniature. Il est autonome et sa mère n’a pas à s’en occuper. Il passe les premières années de sa vie dans une pouponnière située le long des côtes, afin de ne pas risquer de rencontrer de prédateurs.
Plus tard, lorsque le bébé requin blanc est suffisamment robuste, il quitte la pouponnière pour rejoindre l’océan. Le seul prédateur des océans qu’il est susceptible de croiser au cours de sa vie est l’orque qui se situe tout en haut de la chaîne alimentaire du monde sous-marin.
L’espérance de vie moyenne du requin blanc est estimée entre 60 et 70 ans. Le requin blanc – comme la majorité des animaux – ne connaissant pas de ménopause, Nakumi devrait encore mettre de nombreux petits requins blancs au monde.
Marquage et prises de données sur les requins par OCEARCH
Pour ses recherches, l’équipe d’OCEARCH amène le requin à bord du navire de recherche. Là, un système de propulsion d’air est inséré dans sa gueule pour lui permettre de s’oxygéner, tandis que son corps est sans cesse hydraté.
OCEARCH poursuit l’étude la plus complète au monde sur les requins blancs de l’Atlantique Nord-Ouest. Elle comprend une évaluation complète de la santé de chaque squale avec des analyses microbiologiques, un relevé de ses mouvements et de sa température, ainsi que des profondeurs auxquelles il évolue, grâce à l’utilisation de trois balises différentes. Des échantillons de sang sont prélevés pour mesurer les niveaux d’hormones de reproduction. En outre, des images échographiques des ovaires et des testicules, ainsi que des échantillons de sperme des mâles matures sont évalués.
L’équipe procède le plus rapidement possible pour mesurer et peser le requin, prélever des échantillons de sang et de bactéries, inspecter ses blessures et cicatrices, puis fixer les balises de localisation qui permettent de suivre ses pérégrinations dans l’océan. Le requin est ensuite relâché.
La procédure peut paraître traumatisante, car le requin est hissé hors de l’eau et se retrouve sans défense. Pour réduire les contrecoups de cette intervention, l’équipe agit au plus vite pour qu’elle dure le moins longtemps possible.
En revanche, les bénéfices sont immenses. Les requins pâtissent d’une mauvaise réputation et sont massacrés partout dans le monde dans des proportions scandaleuses. Or, sans eux qui tiennent une place indispensable dans la chaîne alimentaire et l’équilibre des océans, le monde sous-marin serait en péril. Plus nous en apprenons sur les requins en général et sur le requin blanc en particulier, plus nous apprenons comment le préserver.
« Les grands requins blancs sont les gardiens de tous les stocks de poissons, ils empêchent les phoques de s’alimenter de manière excessive et de faire échouer tout le système. Nous savons que lorsque les requins blancs sont présents et que les phoques le sont également, les phoques mangent chaque jour un quart seulement de la quantité qu’ils mangeraient si le requin blanc n’était pas présent », explique Chris Fischer.
L’influence bénéfique des requins s’exerce sur l’ensemble de la chaîne alimentaire.
Créée en 2013, l’association Shark Mission France sensibilise le public sur la condition des requins dans le monde. Elle milite notamment contre la pêche qui massacre les requins pour commercialiser leurs ailerons. Je vous invite à vous rendre sur le site Internet de Shark Mission France pour vous informer et éventuellement vous impliquer aux côtés des bénévoles de l’association.
D’autre part, les « célébrités » du monde des requins, comme Nukumi ou Deep Blue, participent à réconcilier le public avec les squales, victimes d’une mauvaise réputation qu’ils ne méritent pas. Ils sont pourchassés pour devenir des trophées ou pour cuisiner des soupes d’ailerons qui constituent une aberration. Si le public est conscient de la valeur des requins, ces pratiques cesseront naturellement.
Je vous invite à découvrir l’histoire de Deep Blue, considérée comme le plus gros requin de monde.
Les branchies endommagées de Nukumi
Outre ses mensurations exceptionnelles qui font de Nukumi le plus gros requin de l’océan Atlantique Nord, l’observation de ses branchies a permis d’étudier ses cicatrices. Elle présentait de multiples marques, dont des traces de morsures récentes sur ses branchies. Celles-ci pourraient indiquer une activité de reproduction récente au moment de son marquage. Il est en effet courant que les mâles requins blancs mordent les femelles lors de l’accouplement.
« C’est une véritable leçon d’humilité que de se tenir à côté d’un tel animal », déclare Chris Fischer. « Quand vous observez toutes les cicatrices, taches et marques qui maculent sa peau, vous regardez vraiment l’histoire de sa vie et cela vous fait sentir vraiment insignifiant. »
La traversée avortée de l’océan Atlantique par Nukumi
Depuis que Nukumi avait été marquée en octobre 2020, elle se cantonnait dans les eaux de la côte est du Canada et de l’Amérique. Pourtant, dans le courant de l’année 2021, elle surprit les chercheurs en se déplaçant soudainement vers l’est, paraissant traverser l’océan Atlantique en direction de l’Europe.
Il s’agissait d’un mouvement très inhabituel pour un grand requin blanc. En effet, si ce squale appartient à une espèce migratrice capable de parcourir des milliers de kilomètres, il ne franchit pratiquement jamais la dorsale médio-atlantique, située en plein milieu de l’océan Atlantique et qui le traverse verticalement. Comme vous le constatez sur le relevé de la balise de Nukumi ci-dessous, le 11 avril 2021, le plus grand requin blanc de l’Atlantique avait dépassé cette frontière symbolique.
Les raisons de la migration de Nukumi
Ce comportement singulier a interrogé les scientifiques. La seule hypothèse qu’ils avancent serait une grossesse de Nukumi. Elle aurait alors recherché un endroit pour mettre bas, loin des grands requins blancs mâles agressifs qu’elle côtoie habituellement.
« Si vous regardez son parcours, vous verrez qu’elle était au Canada l’été dernier, qu’elle se nourrissait de phoques et qu’elle grossissait. Elle s’est ensuite rendue en Caroline du Sud où nous pensons qu’elle s’est accouplée, puis qu’elle s’est dirigée vers des eaux plus profondes, en direction de l’Europe », explique Chris Fischer.
Elle aurait donc quitté son lieu de résidence habituel pour rejoindre les côtes de l’Europe où elle espérait trouver une pouponnière accueillante pour ses petits.
Le renoncement à la visite des côtes européennes
Finalement, Nukumi aura fait comme tous les requins blancs qui entament la traversée de l’océan Atlantique : demi-tour, avant de retourner du côté des côtes américaines !
La balise de Nukumi avait émis sa dernière impulsion — son dernier « ping » — le 11 avril 2021, juste après le franchissement de la dorsale médio-atlantique et l’équipe d’OCEARCH attendait avec la plus grande impatience le signal suivant pour connaître son point de chute. Or, pour que la balise émette, il faut que le requin remonte au plus près de la surface et y demeure pendant un temps suffisamment long pour établir une connexion avec le satellite dont elle dépend.
Quelques semaines plus tard, Nukumi est apparue sur une image satellite… au large des côtes du Canada, signifiant son abandon de la traversée de l’océan Atlantique. La reine de l’océan avait donc renoncé à rendre visite à l’Europe. Les scientifiques n’avancent aucune hypothèse quant à ce changement radical de cap. Ils n’expliquent pas non plus pourquoi elle a soudainement cessé de remonter à la surface pendant plusieurs semaines, ce qui a valu le long silence de sa balise.
Bob Hueter, l’un des chercheurs d’OCEARCH affirme qu’« Une partie des grandes femelles adultes requins blancs que nous avons marquées ont fait ces incursions au large. L’hypothèse que nous avons développée est que ces femelles sont gestantes, s’étant accouplées au large des côtes américaines. Elles s’éloignent alors des lieux où se trouvent les autres requins blancs pour mettre au monde leurs petits. Nukumi a dû probablement profiter de proies évoluant dans les profondeurs, comme les calamars et les poissons qui vivent en pleine mer ».
Lydia, le seul requin blanc à avoir traversé l’océan Atlantique… ou presque !
Le seul requin blanc suivi ayant effectué la traversée (presque) complète de l’Atlantique fut la femelle Lydia (4,30 mètres de long), en 2014. Elle avait été marquée au large des côtes de la Floride, puis avait parcouru plusieurs milliers de kilomètres vers l’est, dépassant alors la dorsale médio-atlantique.
Toutefois, il est exagéré de dire qu’elle a « traversé » l’Atlantique. En effet, elle a rejoint les côtes portugaises… mais pas du Portugal : Lydia a nagé dans la région des îles des Açores qui sont portugaises, mais distantes de près de 1 500 kilomètres de Lisbonne.
Vous pouvez voir très nettement sur le relevé de la balise de Lydia qu’elle était encore loin des côtes européennes lorsqu’elle a bifurqué pour retourner vers le continent américain.
Impossible de savoir si un requin blanc a déjà traversé l’Atlantique !
Lydia est le seul requin blanc portant une balise à avoir presque traversé l’Atlantique. Il est impossible de déterminer avec certitude si des squales de cette espèce ont réellement voyagé du continent américain au continent européen.
Ce qui est certain, c’est que tous les requins blancs balisés ayant suivi le même chemin que Nukumi ont ensuite opéré un demi-tour, comme elle. La plupart des requins blancs marqués par OCEARCH migrent le long de la côte du Canada et du Massachusetts pendant l’automne, avant de passer l’hiver au large de la Caroline du Nord, de la Caroline du Sud, de la Géorgie et de la Floride.
Espérons recevoir bientôt des nouvelles de la balise de Nukumi, le plus grand blanc de l’Atlantique, pour suivre ses tribulations au travers de l’océan !
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