Selon une étude de son génome publiée en août 2024, la population du requin blanc s’est divisée il y a environ 150 000 ans, pour ne jamais plus se croiser.
Et si le grand requin blanc changeait de couleur pour leurrer ses proies ?
La dernière découverte de deux scientifiques étudiant les grands requins blancs a de quoi surprendre : ces splendides et impressionnants squales seraient capables de changer la couleur de leur peau pour se camoufler. Ce procédé est un classique dans le monde animal, mais c’est la première fois qu’il pourrait être attribué à un si gros spécimen.
Sommaire
L’enquête de Ryan Johnson et Gibbs Kuguru sur le camouflage du grand requin blanc
Ryan Johnson travaille comme biologiste spécialiste des requins en Afrique du Sud, et Gibbs Kuguru occupe le poste de généticien spécialiste des requins à l’université de Wageningen aux Pays-Bas. Il est aussi un fidèle collaborateur du National Geographic et lauréat du National Geographic Wayfinder Award en 2022. Les deux scientifiques travaillent ensemble pour déterminer si les grands requins blancs peuvent changer de couleur de peau pour se camoufler et se fondre dans leur environnement, à l’instar d’autres animaux marins tels que les pieuvres ou les calamars.
Pour Ryan Johnson, l’idée que les requins blancs pourraient être une espèce capable de modifier la couleur de sa peau a germé au fil des années qu’il a passé à leurs côtés. Capable de différencier un grand nombre d’individus à force d’observation, il s’est rendu compte que les nuances de la couleur de leur peau changeaient au gré des rencontres.
Ryan Johnston explique l’objectif de son étude sur le changement du couleur de grand requin blanc
« Je me souviens d’une époque où nous regardions principalement les cicatrices sur les requins pour les identifier. Il m’arrivait de m’interroger au sujet d’un requin que nous avions déjà observé. Il apparaissait clair auparavant et désormais foncé. Et pourtant, nous étions certains d’avoir affaire au même requin ! » explique Ryan Johnson. « C’est là que j’ai eu l’intuition qu’il était possible qu’ils changent de couleur. Toutefois, en raison des conditions de lumière, des changements météorologiques et des profondeurs de nage, il n’a jamais été possible de le prouver jusqu’à aujourd’hui. »
Ne pas confondre le camouflage naturel et le changement de couleur de peau
Le requin blanc bénéficie dès la naissance d’un camouflage naturel dû à sa robe bicolore. Vu du haut, le dos gris du squale se fond dans le bleu de l’océan ; vu du dessous, son ventre blanc devient invisible en raison de la lumière de la surface qui éblouit la scène.
L’étude des deux chercheurs concerne bien la capacité du grand requin blanc à changer de couleur de peau, c’est-à-dire à modifier les nuances de gris de son dos, de ses flancs, de sa queue et de son aileron dorsal.
Comment prouver le changement de couleur de la peau du grand requin blanc ?
Pour prouver que les requins changent effectivement de couleur, il fallait inventer un dispositif avec des repères permettant de comparer d’une observation à l’autre. Ryan Johnson et Gibbs Kuguru ont mis au point un tableau de couleurs en niveaux de gris qu’ils ont photographié dans le même cadre que les requins étudiés. Grâce à Photoshop, ils ont pu normaliser les conditions d’éclairage. L’épopée fut sportive, car les requins ne sont pas les collaborateurs les plus coopératifs, mais les résultats se sont avérés spectaculaires.
Seal Island en Afrique du Sud, terrain privilégié de l’étude
Les chercheurs avaient en tête de réaliser des prises de vue dans des postures et à des profondeurs différentes. Leur objectif était de prendre des photos lors des brèches, lorsque le requin blanc saute hors de l’eau, mais aussi lorsqu’il nage en haut de la colonne d’eau, ainsi que lorsqu’il se nourrit à plus grande profondeur.
La chasse à l’otarie à fourrure par le grand requin blanc
Le lieu privilégié pour ce type d’étude est Seal Island, une petite île située à 6 kilomètres au large des plages nord de False Bay, près du Cap en Afrique du Sud. L’île est ainsi nommée en raison du grand nombre d’otaries à fourrure du Cap qui l’occupent : sur 2 hectares seulement, on peut compter jusqu’à 64 000 individus.
Les otaries à fourrure font partie des mets préférés du requin blanc qui utilise souvent la même technique redoutable pour les chasser : partant des profondeurs, le squale fonce à la verticale sur le pinnipède qui passe en surface. Par le passé, des études ont estimé que la vitesse du requin pouvait atteindre plus de 45 km/h au moment du choc, laissant peu de chance de survie à la proie.
Les prises de vue avec un leurre ou depuis une cage
Pour leurs prises de vue, les scientifiques ont utilisé un leurre en forme de phoque comme appât. Ils se sont adjoint les services d’un drone et d’un bateau télécommandé sur lequel était fixé le panneau des couleurs. Pour pouvoir établir des comparaisons fiables, il fallait impérativement que le panneau et le requin soient dans le même cadre. Pour les eaux plus profondes, Ryan Johnson a filmé les requins depuis une cage de plongée.
« Je pense que nous en sommes à plus de 60 enregistrements et visites de requins », raconte Ryan Johnson. « Nous avons vu trois ou quatre d’entre eux jusqu’à vingt fois au cours des six derniers mois. »
Les résultats des tests de couleur
Les résultats des tests aux côtés du tableau de couleurs semblent indiquer que les requins — identifiables par des cicatrices et d’autres traits idiosyncrasiques (particuliers à chaque individu) — apparaissent effectivement de différentes couleurs dans différents scénarios, alors que les conditions de lumière sont exactement les mêmes d’une photo à l’autre.
« Il y avait un requin en particulier qui est revenu à quatre ou cinq reprises et nous avons effectivement pu le suivre dans différentes situations. J’ai analysé les prises de vue en utilisant le tableau des couleurs pour montrer qu’il avait changé de couleur. Il nous reste de très nombreuses données à étudier. Nous avons donc l’intention de poursuivre ces recherches, au moins jusqu’à la fin de l’année 2022, car je veux voir comment les différents états comportementaux contrôlent ce phénomène », explique Ryan Johnson.
La preuve scientifique que le changement est physiquement possible chez le grand requin blanc
Les chercheurs devaient également prouver que le changement de couleur est scientifiquement possible chez les requins. Ils ont donc étudié les cellules de la peau pour obtenir une preuve moléculaire. Chez les espèces dont on observe actuellement qu’elles changent facilement de couleur, les cellules de leur peau contiennent des mélanocytes — cellules pigmentant la peau — qui produisent de la mélanine lorsque la cellule se contracte.
Pour savoir si les requins pouvaient physiquement changer de couleur, les chercheurs ont exposé les cellules de la peau des requins à diverses hormones : l’hormone stimulant les mélanocytes (MSH ou hormone mélanotrope, mélanotropine ou mélanocortine), l’adrénaline et la mélanine elle-même. Ils ont prélevé des cellules de peau sur les requins à l’aide de méthodes indolores, puis les ont analysées en laboratoire.
À la grande surprise des chercheurs, lorsqu’ils ont exposé les cellules de requin à la MSH, les mélanocytes des cellules se sont dispersés, rendant le tissu plus foncé. Lorsqu’ils ont été exposés à l’adrénaline, le tissu est devenu plus clair. La mélatonine a fait en sorte que le tissu devienne un mélange de clair et de foncé.
« Nous voulions “faire croire” à ces cellules de requin qu’elles recevaient une sorte de stimulus comme le soleil ou un stimulus émotionnel provoqué par la vue d’une proie potentielle, pour voir si nous pouvions les faire changer et devenir plus clairs ou plus foncés », explique Gibbs Kuguru. « Non seulement cela a fonctionné, mais ce fut un succès fulgurant ».
Toutefois, ces résultats provenant d’un échantillon réduit de trois requins, d’autres données doivent encore être recueillies pour que les résultats soient statistiquement valables.
L’étude se poursuit avant toute publication définitive
Gibbs Kuguru explique : « Sur la base de ce que nous avons déjà constaté, nous avons encore besoin de 5 à 15 échantillons, concernant d’autres individus pour compléter les analyses. Nous sous-échantillonnons chaque échantillon individuel, afin de tester l’hormone sur chaque individu plusieurs fois. Nous aurons donc potentiellement trois à quatre fois la quantité de données provenant d’un requin individuel ».
Bien que les résultats de l’étude ne soient pas encore prêts à être publiés dans une revue à comité de lecture, les scientifiques sont ravis d’avoir l’occasion de réaliser un film pour le National Geographic. Celui-ci décrit le processus de recherche pour expliquer les résultats obtenus jusque-là.
« Ce projet a été conçu à partir d’une intuition. Je serai éternellement reconnaissant au National Geographic d’avoir eu la foi de croire en cette intuition. Il a mis toutes les ressources à notre disposition, nous permettant, à Gibbs et à moi-même, d’aller sur le terrain. Et, tandis que nous réalisions le documentaire, les recherches scientifiques se poursuivaient parallèlement, sans savoir quels seraient les résultats », explique Ryan Johnson. « C’était très stressant, mais tellement enthousiasmant. Et nous n’en sommes encore qu’au tout début, avant de pouvoir obtenir les réponses à toutes les questions que nous nous posons. »
Découvrez une autre caractéristique spectaculaire du grand requin blanc en consultant l’article Morsure de requin : comment la mâchoire se détache du crâne.
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