L’écholocalisation de l’orque est essentielle pour traquer les proies et lui permettre d’être au sommet de la chaîne alimentaire. Découvrez le décryptage de ce sens extrêmement sophistiqué.
Fabuleux clips vidéo d’orque par caméra-ventouse pour une étude canadienne
Cet article sur les clips vidéo d’orque prises par caméra-ventouse et drones est une traduction d’un article paru dans The Thyee, un magazine d’information canadien en ligne indépendant qui couvre principalement la Colombie-Britannique. Il est paru le 15 avril 2021.
L’auteur, Kerry Banks est un journaliste de magazine et un auteur primé. Il a notamment écrit Pavel Bure: The Riddle of the Russian Rocket, ainsi que des livres sur le hockey, le baseball et le basketball. Il vit à Vancouver, en Colombie-Britannique.
Photo de couverture de l’article : Des groupes d’orques résidentes du nord, photographiées par un drone, se réunissent pour chercher de la nourriture dans les eaux de l’île du Nord. © photo Unité de recherche sur les mammifères marins et Institut Hakai.
Sommaire
Des clips vidéo d’orque réalisés par des scientifiques de l’University of British Columbia
À la fin de l’été dernier, une équipe de scientifiques de l’Université de Colombie-Britannique a suivi des épaulards résidents du sud et du nord, au large de la côte de la Colombie-Britannique à l’aide d’une technologie de pointe qui a ouvert une nouvelle fenêtre sur la vie de ces créatures charismatiques.
La panoplie d’outils high-tech comprenait des drones aériens, des détecteurs électroniques, des enregistreurs de données équipés de télémétrie par satellite, d’un gyroscope, d’un hydrophone et d’une caméra sous-marine.
Fixés aux orques à l’aide de ventouses, ces dispositifs ont permis aux scientifiques d’enregistrer ce que les épaulards voient et entendent, ainsi que leurs mouvements dans l’eau et leurs comportements lors de la plongée et de la chasse.
Les clips vidéo d’orque, recueillis au-dessus et au-dessous de l’eau, dont des échantillons peuvent être visionnés ici, sont saisissants. « Certaines images nous ont coupé le souffle », déclare le chef d’équipe Andrew Trites, professeur au département de zoologie de l’Institut des océans et des pêches et directeur de l’unité de recherche sur les mammifères marins de l’UBC. « C’était incroyable de voir les orques évoluer dans l’eau et se déplacer en trois dimensions ».
Imaginez-vous à dos d’orque, nageant parmi les dauphins :
Ce clip vidéo d’orque est filmé grâce à une caméra fixée sur le dos d’une orque résidente du nord dans les eaux de l’île du Nord. (© Unité de recherche sur les mammifères marins et Institut Hakai)
La proximité physique de la famille d’orques
Andrew Trites a été particulièrement frappé par l’interaction physique entre les orques.
« Jusque-là, je n’avais pas apprécié à sa juste valeur l’aspect tactile des orques. C’est un moyen qu’elles utilisent pour maintenir leur lien familial très fort. Ce sont des créatures très sociales. Elles ne survivent pas en étant seules, mais en étant ensemble. »
Clip vidéo orque et son bébé
Dans le clip vidéo d’orque ci-dessous, on peut voir un bébé orque résident du nord se faire câliner par sa mère, avant de glisser le long du corps de celle-ci et de lui donner une tape sur la tête avec sa queue. La mère frotte le ventre de son bébé orque avec sa nageoire pectorale gauche. Ce comportement, jamais filmé auparavant, a été capturé en collant une caméra à ventouse sur une orque résidente du nord D1. (© Unité de recherche sur les mammifères marins)
Comment le bébé orque expérimente la prise du saumon
Dans une autre image, on a vu un nouveau bébé orque porter un saumon dans sa bouche comme une poupée de chiffon pendant deux jours, alors qu’il n’avait que trois mois et se nourrissait encore entièrement du lait de sa mère.
S’agit-il d’une façon de se « faire les dents », ou le bébé orque apprend-il simplement à copier les adultes ? Les scientifiques ne peuvent en être sûrs.
Les chercheurs ont capturé cette photo d’un bébé orque résident du sud portant un saumon dans sa bouche comme une poupée de chiffon pendant deux jours.
L’étude de l’alimentation de l’orque
Au-delà de la collecte d’images étonnantes, l’objectif principal du projet est d’étudier les habitudes d’alimentation de l’orque et la disponibilité des proies pour les résidentes du nord et du sud, qui recherchent toutes du saumon royal le long de la côte de la Colombie-Britannique.
Pendant l’été et l’automne, les deux groupes sont très proches l’un de l’autre, les résidentes du nord patrouillant dans le détroit de Johnstone, à l’est de l’île de Vancouver, tandis que les résidentes du sud circulent juste au sud, dans la mer des Salish.
Bien qu’ils soient de la même espèce, les épaulards du nord et ceux du sud possèdent des dialectes différents. Ils se croisent peu et interagissent rarement.
Comment expliquer la différence entre l’état de santé des orques du nord et celles du sud ?
Leur état de santé est également très différent. Les orques résidentes du sud, menacées d’extinction, sont en moyenne plus minces que les résidentes du nord et beaucoup moins nombreuses, passant d’un maximum de 98 en 1995 à seulement 75 aujourd’hui. Les résidentes du nord peuvent se vanter d’avoir une population de plus de 300 individus.
Les chercheurs de l’UBC espèrent que leurs données fourniront de nouveaux indices sur les raisons pour lesquelles les épaulards résidents du nord prospèrent, tandis que ceux du sud sont en voie d’extinction.
« En observant les deux populations d’orques, nous sommes en mesure de comparer les conditions de recherche de nourriture et les comportements de chasse des deux groupes et de voir s’il est plus difficile pour les orques résidentes du sud de capturer des proies », explique Sarah Fortune, chercheuse postdoctorale en écologie marine au MMRU (Marine Mammal Research Unit at the University of British Columbia). Elle est responsable du suivi du projet qui fait partie d’une enquête pluriannuelle soutenue par Pêches et Océans Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, la Fondation du saumon du Pacifique et l’Institut Hakai.
Le sort des orques résidentes du sud a fait l’objet d’une intense couverture mondiale en 2018 lorsqu’une mère nommée Tahlequah a porté le cadavre de son bébé orque mort pendant 17 jours, ce que certains journalistes ont décrit comme « a tour of grief », comme une sorte de deuil. Les scientifiques étaient moins disposés à attribuer un motif. Comme l’a fait remarquer Peter Ross, expert en orques et vice-président de la recherche du groupe de conservation Ocean Wise, « C’est un comportement inhabituel. Ce que cela signifie, qui sait ?… ».
Orque résidente du Nord, l’une des plus de 300 qui croisent de l’île de Vancouver au sud-est de l’Alaska, et qui se divisent en trois clans, connus sous le nom de pods A, G et R.
Le déclin des orques résidentes du sud
En raison de leur petite population et du fait qu’ils vivent près de grands centres urbains, les épaulards résidents du sud font partie des mammifères les plus étudiés de la planète, chaque membre étant documenté individuellement.
Malgré cela, il reste encore beaucoup d’éléments secrets à leur sujet. « Les orques résidentes du sud sont difficiles à étudier, car elles passent 95 % de leur vie sous l’eau. Par exemple, nous ne savons pas dans quelle mesure elles se nourrissent la nuit », note John Ford, l’un des pionniers de la recherche sur les orques.
La cause profonde du déclin des orques résidentes du sud est encore débattue. La plupart des observateurs citent trois facteurs :
- la réduction des ressources alimentaires ;
- le bruit et les interférences physiques des navires commerciaux et de plaisance ;
- l’accumulation de produits chimiques industriels dans leur graisse.
Les deux groupes d’orques (sud et nord) ne se nourrissent que de poissons, de préférence de saumon royal, mais l’habitat des orques résidentes du nord est plus propre, plus calme et offre un éventail plus diversifié de de saumons, notamment le saumon royal du fleuve Fraser, qu’elles peuvent capturer lors du retour des saumons vers les frayères, avant que les orques résidentes du sud n’aient leur chance.
Le saumon royal : proie favorite des orques
Les orques préfèrent le saumon royal parce qu’il s’agit du type de saumon le plus gros et le plus riche, mais ce poisson convoité est en déclin, son nombre ayant chuté de façon spectaculaire au cours du siècle dernier en raison de la pêche, l’élevage, la construction de barrages, l’activité industrielle et la destruction des estuaires.
Malgré cela, Andrew Trites note que les modèles mathématiques indiquent que les orques résidentes du sud devraient être en mesure d’obtenir un approvisionnement adéquat en saumon royal dans la mer des Salish, ce qui suggère que d’autres facteurs peuvent être impliqués.
Des chercheurs de l’UBC et de Hakai libèrent un drone utilisé pour suivre et surveiller le comportement des orques. « Une fois qu’on l’a laissé partir, il faut le récupérer, c’est la partie la plus difficile ! », explique Taryn, une étudiante diplômée de l’UBC.
Bruit et pollution en cause pour les orques du sud
Dans un article récent, Samuel Wasser, biologiste à l’Université de Washington, a rapporté qu’entre 2008 et 2014, près de 70 % des grossesses d’épaulards résidents du sud ont échoué, soit par une fausse-couche, soit par la mort du bébé orque peu après la naissance.
Samuel Wasser pense que ces échecs surviennent parce que la réduction de l’apport alimentaire déclenche la présence de polluants dans leur organisme. Lorsque les orques ne mangent pas assez, elles commencent à brûler leurs réserves de graisse, ce qui libère les toxines stockées dans leur sang. Cela nuit à la santé du bébé en développement, et l’effet est particulièrement prononcé à la fin de la grossesse, lorsque le fœtus se développe rapidement.
Par ailleurs, le bruit ambiant nuit à la capacité de ces animaux à chasser. Marla Holt, biologiste de la faune au sein de la National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis, indique que les données recueillies sur les balises hydrophones ont révélé que les orques s’alimentent moins lorsque les navires sont à moins de 350 mètres. La présence du trafic maritime semble avoir un impact particulier sur les femelles.
Selon Marla Holt, « le bruit généré par le passage des navires a un effet de masque, réduisant la capacité des orques à identifier les sons qui les intéressent ».
Les sons forts perturbent le sonar biologique des épaulards. Lorsqu’elle chasse, une orque émet une série de clics qui se propagent dans l’eau comme le faisceau sonore d’une lampe de poche. Si les ondes sonores touchent un objet, les échos rebondissent vers l’orque. L’écholocation permet aux orques de détecter les poissons à des distances allant jusqu’à 150 mètres, bien plus loin que ce qu’elles pourraient voir dans l’eau sombre. Elle leur permet de coordonner leurs efforts de chasse en l’absence de lumière ou d’autres éléments reconnaissables sous les vagues.
Retrouvez tous les détails dans l’article Comment l’orque chasse grâce à l’écholocalisation.
Clip vidéo d’orque : les pods de résidentes du nord
Les séquences filmées par les drones montrent les groupes C1 et D1 (membres du clan A des orques résidant dans les eaux de l’île du Nord) chassant seuls ou en petits groupes à la recherche de poissons. Ils se sont ensuite rassemblés pour se reposer et se déplacer lentement vers leur prochain lieu de recherche de nourriture. (© Unité de recherche sur les mammifères marins et Institut Hakai)
L’importance de l’écholocation
Les caméras sous-marines de l’équipe de l’UBC ont mis en évidence l’obscurité du monde dans lequel vivent les épaulards et l’importance de leur utilisation de l’écholocation pour naviguer et chasser. Des hydrophones ont même permis aux chercheurs d’écouter les orques poursuivre leurs proies.
« Ils sont dans l’eau profonde et sombre, cela ressemble à un sous-marin – ping, ping, ping », explique Andrew Trites, décrivant les clics d’écholocation. « De plus en plus vite, les pings se transforment en un bourdonnement et vous savez que le moment de tuer arrive. Soudain, vous entendez le craquement lorsqu’ils mordent. Et puis, le silence. »
Deux bateaux lourdement équipés pour cette étude
L’équipe de l’Université de la Colombie-Britannique a utilisé deux navires dans le cadre de ses efforts de suivi, le Gikumi, un vaisseau-mère de 18 mètres de long, et le Steller Quest, un bateau à coque en aluminium de 6 mètres de long utilisé pour fixer les enregistreurs de données aux orques. Cette tâche, qui exige force, compétence et travail d’équipe, a été assurée par le biologiste Mike deRoos et le capitaine Chris Hall, un opérateur maritime commercial chevronné.
Mike DeRoos se tenait à l’avant de l’esquif, tenant une perche en fibre de carbone de huit mètres de long au sommet de laquelle était fixée la caméra-ventouse, tandis que Chris Hall pilotait prudemment le bateau le long d’un des léviathans de plus de 5 tonnes.
Mike DeRoos attendait, en scrutant l’eau à travers des lunettes de soleil polarisées, de voir une orque surgir d’en dessous, puis, lorsque l’animal sortait de l’eau, il tentait d’accrocher la ventouse sur son dos, près de la nageoire dorsale.
« C’est un véritable défi. Les orques ne font généralement surface que pendant environ deux secondes et leur peau est glissante », explique Mike deRoos. « Il faut trouver le bon moment, car si elles voient la perche planer au-dessus d’eux, elles ne remontent pas. »
Une mine d’information
Une fois fixé, l’enregistreur de données émet pendant cinq, sept ou vingt heures, selon sa programmation. Au bout de ce temps, l’appareil se détache, flotte à la surface et émet un signal radio pour aider l’équipage à le récupérer.
La mine d’informations contenue dans ces instruments est révélatrice. « Certaines des choses que nous avons enregistrées vont permettre d’affiner la compréhension actuelle de la façon dont les orques vivent ensemble, chassent, partagent leur nourriture et communiquent entre eux », explique l’équipe.
Les données accumulées au cours de cette expédition d’un mois, au cours de laquelle l’équipe de recherche a parcouru plus de 2 500 km, sont si nombreuses que les scientifiques en sont encore à trier le matériel et à tirer des conclusions.
L’une des questions cruciales auxquelles ils espèrent répondre est de savoir si la pénurie alimentaire présumée que connaissent les orques résidentes du sud se produit uniquement dans la mer des Salish en été et en automne, ou si elle se produit ailleurs dans leur aire de répartition en hiver et au printemps.
Ironiquement, la froide stérilité de la technologie, si souvent associée à la notion de domination sur la nature, ouvre maintenant aux biologistes une porte leur permettant d’étudier les animaux de manière plus intime et plus révélatrice. Dans ce nouveau monde, les orques elles-mêmes font office d’océanographes, révélant le monde aquatique qu’elles habitent avec un minimum de perturbations dans leur vie.
Obtenir une image plus complète de ce qui se passe sous l’eau avec les orques n’est pas seulement une percée scientifique, mais aussi une expérience émotionnellement enrichissante pour les chercheurs de l’UBC. « Cette technologie nous a ouvert les yeux sur des choses auxquelles nous n’avions pas accès auparavant », déclare Andrew Trites. « C’est incroyablement excitant. C’est ce qui nous fait lever chaque jour, la possibilité de découvrir quelque chose de nouveau. »
Merci à Kerry Banks, auteur de l’article, et à toute l’équipe de l’UBC qui nous permet d’en découvrir davantage sur les orques !
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