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Avion peau de requin

Un film imitation ‘peau de requin’ pour réduire la consommation des avions

Les ingénieurs aéronautiques poursuivent inlassablement l’objectif d’améliorer l’aérodynamisme de leurs avions, fusées, navettes et autres objets volants. En s’approchant toujours plus près de la perfection, les performances des avions seraient optimisées avec une consommation de carburant réduite et une empreinte carbone allégée. L’idée de s’inspirer de la peau de requin n’est pas nouvelle, comme nous l’avions relaté dans l’article Peau de requin : un modèle pour nos avions ? qui s’appuyait une étude datant de 2018. Toutefois, grâce aux progrès technologiques, les tests grandeur nature réalisés en 2022 ont pu prouver l’efficacité d’un nouveau procédé, nommé AeroSHARK.

Avion peau de requin 3
© Lufthansa Technik

La surface de la peau de requin comme référence

Si vous caressiez un requin de la tête à la queue, vous auriez l’agréable sensation d’une peau douce, lisse et veloutée, semblable à celle d’un daim. Dans le sens inverse, elle vous apparaîtrait rugueuse comme du papier de verre. Observée au microscope, la peau de requin est composée d’écailles striées, superposées comme les bardeaux d’un toit. Ces structures, appelées denticules dermiques, ressemblent plus à des dents qu’à de la peau. Constituées de dentine et d’émail, elles sont innervées et leur structure nervurée et stratifiée guide l’eau sur le dos du requin, réduisant ainsi la friction et la résistance.

Cette merveille de la nature qu’est la peau de requin lui permet de nager en économisant son énergie. Elle participe aussi aux records de vitesse de certaines espèces qui sont plusieurs à parvenir à 50 km/h. Le requin le plus rapide du monde est le requin mako dont les pointes atteignent 80 km/h.

Denticules peau de requin
Denticules de différentes espèces de requins

L’imagerie en 3D pour expliquer la performance de la peau de requin

Les ingénieurs se sont depuis longtemps inspirés de la structure de la peau de requin, tentant d’imiter les impressionnantes prouesses hydrodynamiques des squales. Ils ont ainsi conçu des surfaces adaptées pour des coques de bateaux, des éoliennes et même des maillots de bain pour les plus grands champions de natation.

Dans une nouvelle étude — Ridges and riblets: Shark skin surfaces versus biomimetic models (Crêtes et riblets : surfaces de peau de requin et modèles biomimétiques) — des chercheurs de l’université Harvard, dans le Massachusetts, dirigés par l’ichtyologiste Molly Gabler-Smith, ont pour la première fois comparé des matériaux qui tentent d’imiter la peau de requin avec la peau réelle. Il s’avère que ces matériaux ont encore beaucoup de chemin à parcourir avant de devenir réellement performants, mais des progrès conséquents ont été récemment réalisés.

Requin longimane
Requin longimane

Auparavant, les scientifiques avaient examiné les denticules de requin à l’aide de microscopes électroniques à balayage d’une remarquable précision. Cette technologie est capable de capturer des images de structures de quelques nanomètres de large. Cependant, les images produites par les microscopes électroniques à balayage sont bidimensionnelles. Or, seule une capture tridimensionnelle de la structure permet de comprendre comment réduire la friction, ainsi que la résistance à l’air (ou à l’eau).

Pour visualiser la peau de requin en 3D, Molly Gabler-Smith et son équipe ont utilisé une technique appelée profilométrie de surface. Il s’agit d’une technologie d’imagerie avec laquelle un scientifique utilise une fine couche de gel pour faire un moule de la surface à étudier. « C’est presque comme regarder une carte topographique », explique Molly Gabler-Smith. « Vous pouvez déterminer où se trouvent les pics et des vallées. »

La chercheuse a utilisé cette technique sur :

  • des échantillons de peau de 17 espèces de requins différentes ;
  • deux maillots de bain Speedo conçus comme des imitations de la peau de requin : le maillot FS Fastskin II et le Lzr Racer Elite 2 ;
  • une surface imprimée en 3D créée dans son laboratoire.
Gros plan peau de requin
Une analyse en gros plan montre les différences entre la vraie peau de requin (en haut à droite) et plusieurs matériaux synthétiques, dont un matériau imprimé en 3D (en bas à droite), le Speedo FS Fastskin II (en bas à gauche) et le Speedo Lzr Racer Elite 2 (en haut à gauche). © Molly Gabler-Smith

Molly Gabler-Smith a ensuite comparé les proportions des denticules, ainsi que la hauteur et l’espacement des riblets. Elle a constaté des différences substantielles entre les denticules de vrais requins et les matériaux artificiels. Elle explique : « Je ne peux pas affirmer que les maillots de bain imitent vraiment la peau de requin, car ce n’est pas du tout le cas. L’une des plus grandes différences est que contrairement à un tissu côtelé, la vraie peau de requin est constituée de structures en émail dur sur une surface flexible ».

Avion peau de requin gros plan

Lorsqu’on lui a demandé d’évaluer les matériaux des maillots de bain sur une échelle de 1 à 10, elle a donné respectivement trois et sept à FS Fastskin II et Lzr Racer Elite 2, et huit ou neuf à la surface artificielle fabriquée en laboratoire.

Elle poursuit : « Les concepteurs de maillots de bain font un assez bon travail en reprenant toutes les informations que les biologistes mesurent à partir de la peau de requin réelle, mais il y a encore beaucoup à faire. En théorie, l’ajout de riblets ou d’autres textures bosselées aux maillots de bain ou aux surfaces des embarcations devrait réduire la traînée, mais ces surfaces sont encore loin de fonctionner comme les vraies ».

Toutefois, même si les matériaux imitant la peau de requin ne sont pas encore parfaitement au point, les compagnies aériennes ont commencé à les utiliser en 2022.

Requins soyeux
Requins soyeux

Comment la peau de requin aide-t-elle les compagnies aériennes à réduire les émissions de gaz à effet de serre ?

La compagnie aérienne nationale suisse Swiss est devenue la pionnière en la matière. Elle a en effet pu expérimenter un vol avec des passagers pendant l’automne 2022, avec un avion revêtu d’un film imitant la peau de requin.

Swiss s’est associée à l’une des sociétés du groupe Lufthansa pour réduire les émissions liées à ses activités de transport aérien. La compagnie travaille avec Lufthansa Technik, la filiale de Lufthansa spécialisée dans la maintenance et l’entretien. La première partie du projet vise à appliquer des films en peau de requin sur ses 12 Boeing 777-300ER.

Avion peau de requin 4

La flotte d’avions de Swiss pour les premiers tests de la technologie AeroSHARK

Swiss a proposé l’ensemble de sa flotte de Boeing 777-300 pour être la première compagnie de transport aérien de passagers à adopter la technologie AeroSHARK développée par Lufthansa Technik. Depuis le milieu de l’année 2022, elle a commencé à recouvrir l’ensemble de sa flotte d’une douzaine de 777 de ces panneaux stratifiés très particuliers, inspirés par la structure de la peau de requin.

Chaque « avion requin » sera recouvert d’environ 950 mètres carrés de film. La matière expérimentée augmentera naturellement le poids de l’avion, ce qui nuit à sa consommation de carburant, mais les calculs des ingénieurs prouvent que ce poids supplémentaire sera largement compensé par les économies réalisées grâce à l’aérodynamique de la surface du film.

Avion peau de requin 6

Les économies chiffrées par Lufthansa Technik

Selon Lufthansa Technik, l’application de ce film novateur sur la flotte de Boeing 777 de la compagnie Swiss permettra d’économiser plus de 4 800 tonnes de kérosène par an. Cela équivaut à une réduction des émissions de 15 200 tonnes, soit 1,1 %. En chiffres, cela correspond à la quantité de CO2 générée par 87 vols entre Zurich en Suisse et Mumbai en Inde.

D’après Johannes Bussmann, président-directeur général de Lufthansa Technik : « En raison des longs cycles de vie dans notre secteur, nous ne pouvons pas seulement compter sur les nouvelles générations d’avions pour réduire notre empreinte environnementale, mais nous devons également optimiser spécifiquement les flottes existantes en vue de la durabilité. AeroSHARK apporte une contribution importante à cet égard, et je suis très heureux que Swiss montre la voie ».

L’objectif final est de fournir son produit AeroSHARK sur plusieurs types d’avions et sur une surface maximale. Si elle atteint cet objectif, Lufthansa Technik estime qu’elle réduirait les émissions de CO2 d’environ 3 %.

Peau de requin denticules

Comment fonctionne le film inspiré de la peau de requin AeroSHARK ?

Voler dans l’air ou nager dans l’eau expose l’objet ou l’animal à une résistance. Moins il existe de résistance, plus il est facile de se déplacer, ce qui implique une dépense d’énergie moindre. L’extraordinaire performance d’AeroSHARK tient dans la surface de son film. Bien qu’invisible à l’œil nu, la face exposée du revêtement est parsemée de gravures microscopiques, d’une taille d’environ 50 micromètres et sont appelées riblets.

Avion peau de requin 5
© Lufthansa Technik

Comment est appliqué le film peau de requin AeroSHARK sur un avion ?

L’application d’AeroSHARK sur un avion est un processus relativement simple. L’avion doit être d’abord être parfaitement nettoyé, car toute saleté piégée sous le film altérerait ses performances. Le film est ensuite posé avec la plus grande précaution pour ne pas non plus piéger de bulles d’air qui nuiraient à son aérodynamique.

L’équipe chargée de la pose du revêtement en fausse peau de requin a confirmé la facilité de sa manipulation. Une fois l’opération terminée, le film AeroSHARK s’avère totalement invisible pour un œil non averti. L’avion requin reprend du service, sans précautions particulières.

Avion peau de requin 1
© Lufthansa Technik

L’appareil devant être immobilisé pour cette opération, Swiss profite de l’une des maintenances de routine programmées pour ajouter l’application du film et éviter ainsi un manque à gagner conséquent lié à l’inactivité de l’avion.

Avion peau de requin 2
© Lufthansa Technik

Quels autres avions utilisent AeroSHARK pour l’instant ?

La couche en fausse peau de requin AeroSHARK a d’abord été appliquée à titre d’essai sur l’un des Boeing 747-400 de Lufthansa. À l’époque, seule une partie du fuselage était recouverte de cette surface, mais Lufthansa Technik a déjà pu confirmer une réduction de 0,8 % du frottement sur ce type d’appareil.

Lufthansa Technik avait prévu de déployer cette technologie sur l’ensemble de la flotte de 747-400 de Lufthansa en mars 2020, mais la pandémie du covid a totalement bouleversé le planning des essais. L’entreprise ayant retrouvé une activité normale, la pose des films AeroSHARK sur les avions de la Lufthansa a repris en 2022 pour équiper l’ensemble de sa flotte de Boeing 777 F. Pour la flotte d’avions du transporteur de fret, l’économie d’émissions devrait être d’un peu moins de 11 700 tonnes de CO2 par an. Cela équivaut à peu près à 48 vols entre Francfort et Shanghai.

Pose avion peau de requin
© Lufthansa Technik

Approbation nécessaire de l’AESA — Agence Européenne de la Sécurité Aérienne

Avant d’être appliqué sur un avion de ligne, le film a préalablement été testé pendant plus de 1 500 heures de vol sur un Boeing 747-400. Lufthansa Technik a ensuite demandé — et obtenu — l’approbation obligatoire de l’AESA. L’autorisation — le Supplemental Type Certificate — a ainsi approuvé la conception du film, les spécifications de ses matières premières et sa pose avant que l’avion ne soit autorisé à voler avec cet aménagement d’un nouveau genre.

Naturellement, la résistance du film a été éprouvée : il ne craint pas l’eau, les rayons UV, les corps gras, ainsi que les importants changements de température et de pression qui se produisent à l’extérieur des avions long-courriers.

Boeing 777 peau de requin
© Lufthansa Technik

Le vol du premier avion requin par la Swiss Airlines

Un Boeing 777 de la Swiss Airlines a été mis hors service le 27 août 2022, afin que les nouveaux films imitant la peau de requin puissent être ajoutés. Il a fallu deux semaines pour que l’avion soit prêt à revoler. Début septembre, plusieurs vols d’essai ont pu être réalisés, afin de prouver que le film n’affectait ni les performances ni la sécurité de l’avion.

Le premier vol de passagers a ensuite été réalisé entre l’aéroport de Zurich en Suisse et l’aéroport international de Miami.

Pose de film avion peau de requin
© Lufthansa Technik

Grâce aux requins, les déplacements en avion vont devenir plus vertueux et moins coûteux. Cette innovation prouve que les requins ne sont pas seulement indispensables dans les océans pour sauvegarder l’équilibre de leur écosystème, mais qu’ils ont aussi encore beaucoup de choses à nous apprendre. Ils font partie des plus vieux animaux de la planète et ont su s’adapter au fil des millénaires. Nous serions bien inspirés de tout mettre en œuvre pour les préserver.

AeroSHARK – Réduire les émissions grâce à la technologie de la peau de requin

Pour en apprendre davantage sur la peau de requin, je vous conseille de consulter l’article La peau du requin blanc : une structure de haute technologie.

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