Selon une étude de son génome publiée en août 2024, la population du requin blanc s’est divisée il y a environ 150 000 ans, pour ne jamais plus se croiser.
Peau de requin : un modèle pour nos avions ?
Une étude scientifique menée de front par des Britanniques et des Américains, datant de 2018, proposait comme sujet « Des conceptions inspirées de la peau de requin qui améliorent les performances aérodynamiques ». En effet, la peau de requin possède une texture très spécifique – comme nous l’avons détaillé dans La peau du requin blanc : une structure de haute technologie – et elle inspire les chercheurs qui souhaitent améliorer les performances aérodynamiques et hydrodynamiques des avions, éoliennes, drones, voitures, combinaisons de plongée, coques de bateau, etc.
Sommaire
L’étude des ingénieurs de l’université d’Harvard sur la peau de requin
Des biologistes de l’évolution et des ingénieurs de l’université de Harvard ont découvert que la composition de la peau de requin pourrait contribuer à améliorer les performances aérodynamiques des avions. Les recherches, menées avec leurs collègues de l’université de Caroline du Sud, ont été publiées dans le Journal of the Royal Society Interface.
« La peau des requins est recouverte de milliers de petites écailles, ou denticules, qui varient en forme et en taille autour du corps », a déclaré George Lauder, professeur d’ichtyologie et de biologie au département de biologie organique et évolutive de Harvard, et coauteur de la recherche. « Nous en savons beaucoup sur la structure de ces denticules qui sont très similaires aux dents humaines, mais leur fonction a été débattue. »
Jusqu’à présent, la plupart des recherches s’étaient concentrées sur les propriétés de réduction de la traînée des denticules, mais les derniers travaux ont examiné si elles étaient mieux adaptées pour augmenter la portance.
Pour vérifier cette hypothèse, les chercheurs ont collaboré avec des ingénieurs de la Harvard John A. Paulson School of Engineering and Applied Sciences (SEAS), afin de recréer les denticules du requin-taupe bleu ou requin mako (Isurus oxyrinchus), qui est le requin le plus rapide du monde.
À l’aide d’un scanner micro-CT, l’équipe a imagé et modélisé les denticules en trois dimensions, puis a imprimé en 3D les formes sur le côté aspiration d’une ailette.
« Les voiles d’avion sont un composant primaire de tous les dispositifs aériens », a déclaré August Domel, doctorant à Harvard et coauteur principal de l’article. « Nous voulions tester ces structures sur des aérodynamiques, afin de mesurer leur effet sur la portance et la traînée pour des applications dans la conception de divers dispositifs aériens tels que les drones, les avions et les éoliennes. »
Les chercheurs ont testé 20 configurations différentes de tailles de denticules, de rangées et de positions de rangées sur des aérodynamiques à l’intérieur d’un réservoir d’écoulement d’eau. Ils ont constaté qu’en plus de réduire la traînée, les structures en forme de denticules augmentaient la portance, agissant comme des générateurs de vortex puissants et peu encombrants qui modifient le flux d’air sur la surface d’un objet en mouvement pour le rendre plus aérodynamique.
« Ces générateurs de tourbillons inspirés des requins améliorent le rapport portance/traînée jusqu’à 323 % par rapport à un profil aérodynamique sans générateur de tourbillons », a déclaré August Domel.
Selon l’article de l’équipe, ce résultat est dû à deux mécanismes simultanés :
- une bulle de séparation dans le sillage de la particule qui modifie la distribution de la pression d’écoulement de la voilure pour améliorer l’aspiration ;
- des tourbillons dans le sens du courant qui compensent la perte de vitesse dans la couche limite due au frottement de la peau.
« On peut imaginer que ces générateurs de tourbillons soient utilisés sur des éoliennes ou des drones pour augmenter l’efficacité des pales », a déclaré Katia Bertoldi, professeur de mécanique appliquée William et Ami Kuan Danoff à SEAS et co-auteur de l’étude. « Les résultats ouvrent de nouvelles voies pour des conceptions aérodynamiques améliorées et bioinspirées. »
Inspiration, conception et test des générateurs de tourbillons inspirés des denticules de requin
Image au microscope électronique à balayage environnemental de denticules provenant de la peau de requin mako
(a) Image au microscope électronique à balayage environnemental (ESEM) de denticules provenant du requin-taupe bleu (barre d’échelle : 200 µm) utilisés dans cette étude.
(b) Modèle 3D paramétrique correspondant.
(c, d) Les denticules ont été disposés dans une large gamme de configurations différentes sur le côté aspiration d’une aile d’avion, dont deux exemples sont montrés ici.
(e) Toutes les ailettes ont ensuite été testées en écoulement fluide pour évaluer l’effet des denticules sur la portance et la traînée.
L’hydrodynamique révisée
Les scientifiques avaient depuis longtemps établi l’une des lois fondamentales de l’aérodynamique et l’avaient reportée sur l’hydrodynamique : les surfaces lisses sont plus aérodynamiques, car elles permettent un meilleur écoulement de l’air que les surfaces rugueuses.
En étudiant la peau de requin, ils ont compris qu’un revêtement de type écailles présente une perte de frottement inférieure à 10 % par rapport à une surface lisse.
Les écailles placoïdes qui composent la peau de requin permettent à l’animal d’arriver à une hydrodynamique remarquable. Le requin peut nager plus longtemps, plus vite, tout en consommant moins d’énergie. Bien qu’elles diffèrent d’un requin à l’autre, on retrouve toujours leur forme triangulaire, avec des stries et des arêtes qui permettent à l’eau de s’écouler plus fluidement le long des flancs du squale.
Écoulement laminaire contre écoulement turbulent
On parle d’écoulement laminaire, c’est-à-dire qu’il se forme avec des glissements des couches de fluide les unes sur les autres sans se mélanger. Il ne se crée aucune turbulence et l’écoulement demeure régulier.
Au contraire, lorsque l’écoulement est dit turbulent, il se crée des écoulements secondaires qui vont à l’encontre de l’écoulement principal, ce qui mélange les couches, engendre des résistances et consomme inutilement de l’énergie.
Écoulements turbulent et laminaire autour du requin en mouvement dans l’eau
- direction de l’accélération
- direction de l’écoulement
- corps de requin
- couche limite turbulente
- couches d’écoulement laminaire
Source : Carolin Zehne
L’effet riblet
Comme il est détaillé dans La peau du requin blanc : une structure de haute technologie, les denticules de la peau de requin constituent de minuscules dents. Leur structure, ainsi que leur positionnement les uns par rapport aux autres, maintiennent très près du corps du requin une pellicule d’eau extrêmement fine. L’eau est contrainte de passer par de minuscules rainures, semblables à des sillons, creusés dans chaque denticule.
Ce phénomène physique est appelé l’effet riblet. Il a pour conséquence de supprimer la plupart des frottements et les turbulences qui ralentissent la progression du requin dans l’eau. Grâce à la diminution de la résistance exercée par l’eau, l’animal économise son énergie.
Des écailles placoïdes sur-mesure
Les écailles placoïdes des requins diffèrent en fonction de leur mode de vie.
Les requins qui ont besoin de d’atteindre des pointes de vitesse pour chasser possèdent de fines nervures qui suivent leurs écailles sur toute la longueur. Celles-ci forment de minuscules crêtes de quelques micromètres seulement, mais qui réduisent considérablement la résistance de l’eau lorsqu’ils doivent nager rapidement, mais sans pour autant épuiser leur énergie.
C’est le cas pour le requin blanc (Carcharodon carcharias), le requin soyeux (Cacharhinus falciformis) ou le requin-marteau (Sphyrnidae) par exemple.
Les requins qui nagent lentement, comme les roussettes par exemple (Scyliorhinidae) possèdent de longues écailles pointues, avec moins de nervures.
Dans un autre style, les requins de récif doivent se protéger contre l’abrasion mécanique des rochers, c’est pourquoi leurs écailles sont assez lisses.
Comment appliquer les résultats de l’étude
Voilà des années que les scientifiques fabriquent des structures qui reproduisent la peau de requin pour les adapter dans l’eau ou dans l’air. Ce biomimétisme est tour à tour testé sur les avions, les voitures, les coques de bateaux et les maillots de bain (ou combinaisons de plongée).
Jusqu’à présent, les tests sont encourageants, mais l’homme, malgré tous ses outils technologiques, n’a pas encore réussi à reproduire la perfection de la nature.
La peau de requin imitée pour construire des avions
Déjà dans les années 1990, Airbus a tenté l’expérience des nervures sur environ 75 % de la carlingue d’un avion. Les feuilles métalliques, découpées en forme de triangles aigus, ont permis de réduire le frottement d’environ 8 %, ce qui permettait de réaliser une économie d’1 à 2 % de carburant.
L’inconvénient de ce revêtement est qu’il s’adapte mal aux surfaces incurvées de l’avion et il a tendance à alourdir l’avion, ce qui annule l’économie due à la réduction des frottements de l’air.
D’autres matières ont depuis été testées, avec des vernis ou des revêtements polymères. Pour autant, aucune solution satisfaisante n’a abouti à ce jour.
Des recherches similaires sont effectuées pour adapter les carrosseries de voitures ou de drones qui les rendraient moins énergivores. Des pistes sont aussi suivies pour la fabrication d’éoliennes qui deviendraient plus performantes pour capturer l’énergie fournie par le vent.
La peau de requin pour les bateaux : une évidence pas si évidente
La recherche est aussi au point mort pour façonner les coques de bateaux avec un revêtement qui reprendrait la structure de la peau de requin. L’avantage serait double :
- mieux glisser sur l’eau et ainsi réduire la consommation de carburant ;
- conserver une coque plus propre en évitant la fixation des parasites : algues, bernacles, etc.
Une coque qui retient moins les éléments qui viennent s’y agglomérer glisse mieux, consomme moins d’énergie, a moins besoin d’entretien et dure plus longtemps.
Nager comme un requin dans l’eau ?
Dernier des grands axes de recherche : les maillots de bain et combinaisons de plongée.
Les maillots de bain intégraux, baptisés fastskins (littéralement « peau rapide »), ont été fabriqués dans un matériau dont la texture était nervurée. Les essais ont été tellement concluants que ces maillots ont été interdits des compétitions, car la concurrence était trop déloyale.
Les requins ont des millions d’années d’avance sur nous. Ceci laisse un peu de temps à nos chercheurs pour élaborer des revêtements aussi parfaits que le sont ces merveilleux animaux !
Depuis cette étude, les scientifiques ont utilisé des technologies toujours plus performantes. Ils ont ainsi réussi des prodiges et notamment la fabrication d’un revêtement pour l’aviation dont la mise en œuvre est détaillé dans l’article Un film ‘peau de requin’ pour réduire la consommation des avions.
L’étude de référence : Shark skin-inspired designs that improve aerodynamic performance, published 7 February 2018 / August G. Domel, Mehdi Saadat, James C. Weaver, Hossein Haj-Hariri, Katia Bertoldi and George V. Lauder.
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