Première mondiale : une réserve pour les cachalots de la Dominique

La petite île de la Dominique a annoncé le 13 novembre 2023 qu’elle créait la première zone marine protégée au monde pour l’un des plus grands animaux de la planète : le cachalot (Physeter macrocephalus).

La sixième extinction massive est-elle en cours ?

Depuis le début de la vie sur notre planète, cinq extinctions massives se sont produites. La dernière est datée d’il y a environ 65 millions d’années, un clin d’œil sur l’échelle des temps géologiques. C’est à ce moment-là que les dinosaures ont disparu de la surface de la Terre. Un phénomène d’extinction massive est une courte période géologique au cours de laquelle un pourcentage élevé de la biodiversité ou d’espèces distinctes – bactéries, champignons, plantes, mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons, invertébrés – s’éteint. De nombreux chercheurs pensent que nous sommes au cœur d’une sixième extinction de masse, mais, contrairement aux cinq autres, celle-ci se produit en partie à cause de la présence de l’être humain. Or, le cachalot est l’un des nombreux animaux à pâtir de notre société de surconsommation.

Le déclin des cachalots à cause de la chasse massive

Les cachalots se portaient très bien jusqu’aux années 1800, lorsque nous avons commencé à les chasser, ce qui a duré jusque dans les années 1970. Pendant cette période, les cétacés étaient tués à grande échelle pour leur huile, leur graisse et leurs os. L’arrêt de la chasse leur fut salutaire, mais ils passèrent très près de l’extinction.

Maintenant que cette période est révolue, le cachalot doit faire face à un certain nombre de nouvelles menaces qui contribuent au déclin de sa population : les collisions avec les navires, l’enchevêtrement dans les engins de pêche, la pollution et la consommation d’objets négligemment jetés dans l’océan.

Alors que les cachalots sont officiellement classés comme vulnérables sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN, une sous-population méditerranéenne génétiquement distincte est classée comme en danger. Les chercheurs estiment qu’il n’en reste que 2 500, ce qui représente un chiffre alarmant.

Les cachalots de La Dominique

La vie des cachalots de la Dominique

Les cachalots sont les plus grands animaux de la famille des baleines à dents. Un mâle moyen mesure environ 15 mètres de long et peut peser jusqu’à 45 tonnes. Le cétacé possède également le plus gros cerveau du monde animal, l’organe pesant environ 8 kilos.

Ces mammifères marins sont d’extraordinaires apnéistes, évoluant dans des profondeurs oscillant entre 1 000 à 2 000 mètres à la recherche de calamars. Au cours de ces plongées profondes, ils peuvent retenir leur souffle pendant environ 90 minutes.

Les cachalots forment également des unités familiales fortes dont chaque membre communique par un dialecte commun de clics. Les membres d’une même famille veillent les uns sur les autres. Les nouveau-nés peuvent être allaités par leur mère ainsi que par des tantes, des grands-mères ou d’autres femelles du clan qui tiennent lieu de nourrices.

Les cachalots de la Dominique préservés grâce à la première réserve au monde

La petite île de la Dominique dans les Caraïbes a souhaité créer un havre de paix pour les cachalots en leur offrant une réserve, ce qui est une première mondiale. Elle représente près de 800 kilomètres carrés d’eaux bleues à l’ouest de la nation insulaire qui servent de zone d’alimentation et d’allaitement, essentielle au développement des familles de ces immenses cétacés.

La nouvelle réserve ne couvrira que 3 % de la zone économique exclusive (ZEE) de la Dominique, mais augmentera de 70 % la protection marine totale du pays. La Dominique possède actuellement deux autres zones marines protégées (ZMP) de très petite taille, l’une de 5 km² et l’autre de 6 km².

Le projet de réserve ardemment soutenu par le Premier ministre par intérim Roland Roy

« Je déclare par la présente le lancement officiel de ce programme pour la création de la première réserve de cachalots au monde, car nous encourageons tous nos citoyens et toutes les nations, où qu’elles soient, qui ont l’honneur et le privilège d’inclure les baleines en tant que citoyens de bonne foi, à nous rejoindre dans notre engagement à protéger nos ressources marines vivantes, avant qu’il ne soit trop tard », a déclaré le Premier ministre par intérim, Roland Roy.

Les cachalots, comme tous les autres animaux de la planète, constituent une pièce essentielle du puzzle qui permet à l’environnement de fonctionner comme il se doit. Ces mammifères incroyablement intelligents ont besoin d’une zone de tranquillité où les mères peuvent élever leurs petits en toute quiétude.

« Nous voulons nous assurer que ces animaux majestueux et très intelligents sont à l’abri de tout danger et qu’ils continuent à préserver la santé de nos eaux et de notre climat », a déclaré Roosevelt Skerrit, Premier ministre de la Dominique, dans un communiqué. « Les cachalots ont une façon intéressante de contribuer au bien-être général de la planète : leurs excréments. Les cétacés défèquent près de la surface parce qu’ils arrêtent les fonctions non vitales lorsqu’ils plongent à des profondeurs allant à plus de 2 000 mètres. Par conséquent, les excréments riches en nutriments restent à la surface de l’océan et créent des efflorescences de plancton qui capturent le dioxyde de carbone dans l’atmosphère et l’entraînent au fond de l’océan lorsqu’ils meurent. »

Enric Sala, le fondateur du projet Pristine Seas et explorateur en résidence au National Geographic, a conseillé le gouvernement de la Dominique pour la création de la réserve. Il confirme : « Lorsque ce plancton meurt, il coule au fond de l’océan avec du carbone. Il devient alors un puits de carbone. Plus il y aura de cachalots dans l’océan, plus il sera possible d’atténuer le changement climatique ».

Les cachalots qui résident à la Dominique produisent plus d’excréments que partout ailleurs. Bien que personne ne sache exactement pourquoi, certains chercheurs ont émis l’hypothèse que la nourriture était plus abondante dans cette partie de l’océan.

Quelques centaines de cachalots de la Dominique dans la réserve

Le nombre estimé de cachalots de la Dominique est de quelques centaines, probablement dans les 300. Ils font partie d’un groupe qui se déplace dans la chaîne des Petites Antilles et, contrairement aux autres cachalots, ils ne s’éloignent généralement pas des eaux où ils vivent. Ils ne se reproduisent pas non plus très souvent, ce qui constitue un obstacle supplémentaire dans leur lutte pour la survie. Les cachalots de la Dominique ne donnent naissance qu’à un seul petit tous les cinq ans, de sorte que chaque bébé cachalot devient extrêmement important pour la survie de l’espèce dans son ensemble.

Les observateurs estiment qu’une cinquantaine de familles vivent dans les eaux calmes au large de la côte ouest de l’île. Roland Roy explique : « Vivant dans des sociétés matrilinéaires dirigées par des grands-mères et des mères, ces énormes créatures passent du temps dans nos eaux à plonger dans les profondeurs à la recherche de calamars, à donner naissance et à élever leurs petits.

Grâce à notre partenariat de recherche marine avec National Geographic, Pristine Seas, nous avons compris que nos familles de cachalots parlent leur propre langue, une série de clics transmis par les aînés qui les enseignent à leurs jeunes, mais le plus important pour nous est qu’en tant que mammifères marins nomades, les cachalots ont trouvé un foyer sûr et sont considérés comme des résidents permanents de la Dominique ».

« La mort d’un jeune cachalot peut signifier la fin d’une famille », ajoute Shane Gero, biologiste spécialiste des cachalots et fondateur du Dominica Sperm Whale Project, le projet sur les cachalots de la Dominique. D’après lui, il subsisterait moins de la moitié du nombre de cachalots aujourd’hui qu’à l’époque antérieure à la chasse.

La réserve de la Dominique autorisera toujours la pêche, mais uniquement artisanale et durable. Une voie de navigation internationale sera modifiée afin d’éviter les collisions trop fréquentes avec les navires.

Un tourisme trié sur le volet

« Nous voulons nous assurer qu’avec cette législation, il existe des protocoles clairs sur la manière d’approcher les cachalots et de les quitter », a déclaré Francine Baron, directrice générale de l’agence gouvernementale Climate Resilience Execution Agency for Dominica, lors d’une conférence de presse le 14 novembre.

Les visiteurs pourront partir en excursion pour observer les cachalots de la Dominique, mais uniquement à bord de petites embarcations et en nombre très limité.

« Le gouvernement de la Dominique a compris que les cachalots, qui étaient là avant l’homme, sont des citoyens à part entière de la Dominique », a déclaré Enric Sala. « Ces cachalots passeront la majeure partie de l’année au large de l’île. Les Dominicains prennent donc soin de ces extraordinaires citoyens, ce qui est tout à fait normal. »

Une fois la réserve mise en place, le gouvernement dominicain désignera un fonctionnaire chargé de surveiller étroitement la réserve afin de s’assurer que les règles sont respectées.