Découvrez le projet unique ayant abouti à une réserve couvrant 800 km² de la mer des Caraïbes désormais dédiés aux cachalots de la Dominique.
Certains clans de cachalots compteraient jusqu’à 20 000 individus !
Hal Whitehead est un scientifique, spécialiste des cachalots à l’université Dalhousie, à Halifax, au Canada. À l’aide de microphones sous-marins et de drones, ainsi qu’en s’inspirant des études menées un peu partout dans le monde, il a examiné les sons émis par les cachalots pour déterminer leur organisation sociale. Il a découvert qu’ils se structuraient en groupes culturellement distincts pouvant compter jusqu’à 20 000 individus !
Source : Sperm whale clans and human societies (Clans de cachalots et sociétés humaines)
Sommaire
Présentation du cachalot
Le cachalot est un animal extrême, très différent des autres cétacés (baleines, dauphins et marsouins). Son immense corps est dominé par son immense crâne qui représente un tiers de sa taille. Le cachalot émet des clics dont le niveau acoustique est le plus élevé de tous les animaux sur terre ou dans les océans. Son sonar lui permet de trouver et d’identifier efficacement ses proies en eaux profondes.
Les femelles et les jeunes cachalots (mâles ou femelles) sont très sociaux ; on les voit presque toujours proches les uns des autres, se rassemblant et se roulant souvent les uns autour des autres pendant des minutes ou des heures à la surface. Ils forment des liens importants tout au long de leur vie.
La société des cachalots est structurée en clans qui se distinguent principalement par des dialectes vocaux – marqueurs symboliques de l’identité du groupe – appelés « codas ». Ces clans se distinguent également par des comportements non vocaux. L’ensemble de ces caractéristiques sont enseignées socialement au sein des matrilignages.
Les clans peuvent compter des milliers de cachalots et s’étendre sur des milliers de kilomètres. Deux clans ou plus croisent généralement dans une même zone, mais les cachalots ne socialisent qu’avec les membres de leur propre clan.
Un cachalot très bavard !
Les clans de cachalots
Une organisation matrilinéaire
Le fondement de la société des cachalots est l’unité sociale matrilinéaire composée d’une dizaine de femelles et de leur progéniture. Les membres de l’unité voyagent ensemble, allaitent les bébés les uns des autres et les gardent pendant que les mères effectuent de longues plongées pour se nourrir.
Les cétacés se défendent également de manière communautaire contre leurs prédateurs, à savoir les orques et les globicéphales qui s’attaquent aux plus jeunes. Contrairement à de nombreux mammifères terrestres, la compétition intraspécifique pour la nourriture ou l’espace n’est pas importante chez les cachalots dans leur habitat océanique profond, de sorte que les soins coopératifs, la défense commune contre les prédateurs et le partage des connaissances semblent être les principaux avantages de la socialité.
La plus grande ségrégation sexuelle au monde
Les cachalots mâles quittent leurs unités sociales natales à l’adolescence et se dirigent vers des latitudes plus élevées, loin de leurs mères et autres parents femelles qui restent dans les eaux chaudes. Cela confère au cachalot une autre caractéristique unique : la plus grande ségrégation sexuelle de toutes les espèces.
Le regroupement des unités
Lorsqu’ils sont rencontrés en mer, les cachalots forment souvent des groupes importants. Les unités forment des groupes avec d’autres unités pour des périodes allant de quelques heures à quelques jours. Les groupes ne sont pas aléatoires. Une unité sociale a des unités sociales avec lesquelles elle se regroupe souvent, et d’autres, qui utilisent la même zone géographique, avec lesquelles elle ne se regroupe pas.
Luke Rendell – chercheur à l’université d’Écosse de Saint Andrews – et Hal Whitehead analysent depuis longtemps les enregistrements des vocalisations des unités sociales des cachalots, peuplant notamment dans les eaux au large des îles Galápagos.
Les codas du cachalot
Les vocalisations de communication des cachalots sont appelées codas. Il s’agit de séquences de clics qui diffèrent de l’écholocation : elles sont limitées dans le temps (généralement 3 à 12 clics par coda), elles adoptent des motifs stéréotypés distincts et elles sont émises dans des contextes sociaux.
L’analyse des différents dialectes prouve des divisions sociales. Elle suggère qu’un cachalot femelle reste normalement dans le même clan que sa mère, mais s’accouple avec un mâle d’un autre clan. Les mâles matures commencent à quitter leurs habitats d’eau froide pour retourner sous les tropiques afin de s’accoupler lorsqu’ils ont une vingtaine d’années. On peut donc supposer que les dialectes caractéristiques sont appris de la mère et des autres femelles de l’unité sociale d’un jeune cachalot, ainsi que peut-être des membres d’autres unités sociales qui se joignent parfois à sa famille et sont du même clan.
Les différences interclans des codas
En utilisant principalement les données des deux clans des Galápagos, des différences interclans sont apparues dans une série de mesures : dans la façon dont les groupes se déplacent, dans leur recherche alimentaire, dans leurs taux de reproduction, dans leur répartition autour des îles Galápagos et dans la façon dont ils organisent le baby-sitting des bébés cachalots.
Certaines de ces distinctions sont très marquées, d’autres plus subtiles. Comme pour les dialectes, ces différences semblent être le résultat d’un apprentissage social, et donc d’une culture, celle-ci étant définie comme « une information ou un comportement acquis par un apprentissage social partagé par les membres d’une communauté ».
Les clans constituent un élément fondamental de la vie des cachalots. Étant donné que deux clans ou plus se trouvent fréquemment dans la même zone avec un environnement fondamentalement identique et que les gènes nucléaires sont bien mélangés entre les clans, la culture est la seule explication pour les différences entre les clans.
Les découvertes inattendues de Hal Whitehead sur les clans de cachalots
Les études sur les clans culturels de cachalots ont progressé lentement au cours des 20 dernières années et ont donné lieu à des résultats inattendus.
Le renouvellement des cultures
Les études sur les cachalots des Galápagos ont été interrompues entre 2000 et 2012. Les recherches ont repris en 2013 et ont révélé une certaine surprise. Il ne demeurait aucun signe des deux clans habituellement observés, Regular ou Plus-one, mais deux clans différents résidaient à leur place : le clan Short, dont les membres avaient occasionnellement été croisés dans les eaux des Galápagos les années précédentes, et le clan Four-plus, dont les membres avaient déjà été trouvés au large du Chili et dans le Pacifique central.
« C’est un peu comme si l’on revenait à Montréal après 14 ans d’absence et que l’on découvrait que la ville était encore largement bilingue, mais que l’espagnol et le norvégien avaient remplacé l’anglais et le français ! Nous ne savons pas ce qu’il est advenu des premiers occupants des Galápagos », déclare Hal Whitehead.
La taille des clans
Taylor Hersh – docteur en biologie à l’université Dalhousie (Halifax, Nouvelle-Écosse, Canada) – étudie la communication animale. Elle a dirigé une analyse collaborative récente d’enregistrements de cachalots provenant de l’ensemble de l’océan Pacifique qui a permis d’identifier sept clans. Cependant, en tenant compte de l’estimation du nombre total de cachalots dans cet océan, cela suggérerait une moyenne d’environ 20 000 cétacés par clan, un nombre considérable.
Les scientifiques identifient régulièrement des unités sociales d’environ 10 cachalots et des groupes d’environ 30 cachalots et l’on passerait au niveau de regroupement supérieur avec 20 000 individus ? Les chercheurs s’interrogent : manque-t-il 4 à 5 niveaux intermédiaires de structure sociale, ou les clans de cachalots sont-ils fondamentalement différents des niveaux sociaux hiérarchiques des autres mammifères sociaux ? Aucune réponse n’est pour l’instant apportée.
Répartition spatiale et taille des clans
Les sept clans de l’étude de Taylor Hersh évoluent sur des aires de répartition très différentes. L’un d’entre eux, le clan Short, a été trouvé dans tout le Pacifique, du Japon au Chili (couvrant environ 10 000 km), tandis que le clan Plus-one n’a été entendu qu’au large des Galápagos et de l’Équateur continental (à environ 1 000 km l’un de l’autre).
Les chercheurs en déduisent pour l’instant que la taille des clans varie en conséquence, le clan Plus-un contenant beaucoup moins que la moyenne approximative de 20 000 animaux, et le clan Short beaucoup plus.
Principes fondamentaux des distinctions dialectales : coda à motif ou coda à identité unique
Chaque clan identifié à ce jour produit des motifs de coda rarement entendus dans d’autres clans, que les chercheurs nomment codas d’identité (identity codas), et d’autres motifs de coda communs à différents clans, codas de non-identité (non-identity codas).
Au cours de leurs études détaillées des cachalots au large de l’île de la Dominique dans les Caraïbes, Shane Gero et ses collègues ont constaté que les unités sociales qu’ils connaissaient appartenaient à deux clans. L’EC1 comprenait toutes les unités sociales qu’ils avaient documentées, à l’exception de deux unités sociales qui étaient des visiteurs occasionnels de la Dominique et qui constituaient le répertoire bien distinct de l’EC2.
Cependant, contrairement aux clans du Pacifique dont chacun peut produire plusieurs codas d’identité avec un nombre varié de clics, mais avec un motif distinctif, EC1 et EC2 adoptent des modèles de coda d’identité uniques et distinctifs avec un nombre fixe de cinq clics.
Les clans de cachalots EC1 et EC2
Felicia Vachon – membre du département de biologie de l’université d’Halifax – a étendu les recherches de Shane Gero aux eaux au large des autres îles des Petites Antilles, à environ 300 km au nord et au sud de la Dominique. Cette distance étant inférieure à l’aire de répartition du clan le moins étendu du Pacifique, elle s’attendait à retrouver les unités sociales de la Dominique tout au long de la chaîne d’îles, avec une prédominance de l’EC1.
Mais ce ne fut pas du tout le cas. Les cachalots de la Dominique connus ont rarement été trouvés loin de la Dominique et les différentes îles recensaient soit des unités sociales EC1, soit des unités sociales EC2 prédominantes. Les différences de distribution entre les clans ne peuvent pas être expliquées par des différences dans les caractéristiques de l’habitat, mais plutôt par la proximité des clans avec des îles particulières (très probablement causée par les traditions des unités sociales, étroitement liées à leur appartenance à un clan).
Par exemple, les eaux au large de la Martinique, à seulement 30 km de la Dominique dominée par l’EC1, contiennent presque exclusivement des unités sociales de l’EC2.
Le cas à part de l’EC3
Au cours de ses enquêtes dans les Caraïbes, toutes les unités sociales rencontrées par Felicia Vachon étaient membres des clans EC1 ou EC2, à l’exception d’une seule. Cette unité produisait principalement des codas contenant 9 à 11 clics régulièrement espacés, un répertoire totalement distinct de celui des unités sociales EC1 et EC2. Elle a été rencontrée six fois au cours des deux années d’études, toujours dans les eaux de la Martinique et de Sainte-Lucie, et à l’une de ces occasions, elle a interagi avec une unité EC2.
Cette unité appartient-elle à un clan entièrement différent (EC3 ?) qui n’a pas d’aversion pour l’EC2 ? S’agit-il d’une partie vocalement à part de l’EC2 ? Ou s’agit-il d’une autre hypothèse que n’ont pas encore envisagée les scientifiques ?
Un nombre infini d’interrogations demeure quant à l’organisation sociale du cachalot, mais la recherche avance progressivement.
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