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Altruisme baleine à bosse

L’altruisme de la baleine à bosse face aux attaques des orques

Photo de couverture de l’article © Kathryn Jeffs – NaturePL

Cet article vient en écho à l’article qui relate les fabuleuses rencontres entre Nan Hauser et une baleine à bosse dans lequel la biologiste raconte comment une jubarte l’a protégée contre un requin tigre qui rôdait non loin. C’était semble-t-il la première fois qu’était documenté ce type de comportement à l’égard d’un humain. En revanche, les interventions de baleines à bosse pour protéger une autre baleine, mais aussi d’autres mammifères marins, ont déjà fait l’objet d’études scientifiques.

Le biologiste marin Robert Pitman a observé pour la première fois ce comportement en 2009, lorsqu’un groupe d’orques a fait tomber un phoque d’une banquise en Antarctique, mais qu’il fut empêché de le tuer par une baleine à bosse (megaptera novaeangliae), qui souleva le phoque pour le placer sur son ventre et le maintenir hors de l’eau jusqu’à ce qu’il soit hors de danger.

Baleine à bosse en gros plan

Qui est Robert Pitman ?

Robert Pitman est écologiste marin pour la NOAA Fisheries au Southwest Fisheries Science Center, dans la division des mammifères marins et des tortues.

« J’étudie les oiseaux de mer et les cétacés depuis 1976, et les tortues marines et les poissons volants depuis 1986. Je m’intéresse à la biogéographie, à l’écologie de la recherche de nourriture, à la biologie de l’évolution et à l’écologie générale.

Je passe entre 6 et 8 mois par an sur le terrain, principalement en mer dans des écosystèmes pélagiques, sur des navires de recherche de toutes sortes. Ces voyages m’ont conduit dans les océans tropicaux Pacifique, Indien et Atlantique, dans les eaux de l’Antarctique et dans la mer de Béring. Actuellement, je m’intéresse principalement à l’écologie des orques de l’Antarctique. »

Robert Pitman

Tout commença par le sauvetage d’un phoque par une baleine à bosse

L’interview de Robert Pitman, réalisée par Joshua Howgego, est parue dans la revue New Scientist le 12 octobre 2016.

Vous avez vu pour la première fois des baleines à bosse se comporter de façon étrange en 2009. Que s’est-il passé ?

Nous faisions des recherches sur les orques en Antarctique et la BBC était à bord pour filmer. Nous avons vu des orques interagir avec des baleines à bosse et avons pensé qu’il pouvait s’agir d’une attaque. Nous sommes allés voir de plus près.

Les baleines à bosse étaient un peu agitées, mais ce n’était pas une attaque en règle et les orques ont fini par s’en aller. Nous n’étions pas vraiment sûrs de ce qui se passait, mais en regardant les images de la BBC, nous avons vu qu’il y avait un phoque de Weddell entre les deux baleines à bosse. Nous avons donc pensé que le phoque essayait peut-être de s’échapper et avait trouvé refuge.

Nous avons suivi les orques et bientôt, elles ont commencé à attaquer un phoque de Weddell sur un bloc de banquise, créant des vagues pour essayer de le faire chuter dans l’eau.

Cette technique de chasse est très connue. Découvrez les détails Quand un groupe d’orques chasse le phoque crabier sur la banquise.

Quelques minutes plus tard, les deux baleines à bosse que nous avions laissées derrière nous sont arrivées et ont poursuivi les orques, en frappant leurs nageoires et en se faisant remarquer. C’était étonnant, car les baleines à bosse étaient offensives. Mais nous avons pensé qu’il s’agissait simplement d’un comportement de harcèlement, comme lorsque des oiseaux de jardin harcèlent un prédateur pour essayer de s’en débarrasser.

Baleines à bosse mère et fils

Quand avez-vous réalisé que les baleines faisaient plus que chasser un prédateur ?

Eh bien, quelques jours plus tard, nous avons vu des orques attaquer un phoque de Weddell sur un morceau de banquise, alors qu’il y avait quelques baleines à bosse à proximité. Nous savions qu’elles étaient agitées, car nous pouvions les entendre mugir, en produisant un son impressionnant. Les orques ont fait tomber le phoque de la glace et il a commencé à nager en eau libre. Puis, soudain, l’une des baleines à bosse vint à sa rencontre et, au moment où elle l’atteignit, elle se retourna sur le dos et l’eau entraîna le phoque sur son ventre. La baleine sortit sa poitrine de l’eau avec le phoque dessus.

Brèche baleine à bosse

C’est un comportement plutôt inhabituel pour une baleine…

Oui, nous étions stupéfaits de le voir. Mais nous avons immédiatement pensé que la baleine ne savait peut-être pas que le phoque était là, que ce n’était peut-être qu’une coïncidence. Puis, nous avons regardé les images de la BBC et nous avons vu qu’à un moment donné, le phoque avait commencé à glisser de la poitrine de la baleine.

La baleine à bosse a utilisé l’une de ses nageoires pectorales de 5 mètres de long et d’une tonne pour ramener doucement le phoque sur sa poitrine. Dès que nous avons vu ça, nous avons su que ce n’était pas une coïncidence et qu’il se passait quelque chose.

Oeil baleine à bosse

Que pensez-vous qu’il se passait entre les baleines à bosse et le phoque ?

Cela ressemblait à de l’altruisme, comme si les baleines agissaient par souci pour le petit animal. Mais nous ne parlons pas d’humains ici, et lorsque les animaux font quelque chose qui ressemble à de l’altruisme, j’essaie de trouver des explications rationnelles.

Pourtant, la raison n’était pas évidente, car, pour autant que nous le sachions, les animaux agissent toujours dans leur propre intérêt. « Il faut une explication » », me suis-je dit.

Qu’en est-il des autres cétacés ? Leur comportement offre-t-il des indices sur ce qui se passe ?

Il existe de nombreuses anecdotes sur des dauphins qui aident d’autres animaux en détresse, y compris des humains. Mais ce n’est pas le cas des baleines à bosse : elles venaient en aide à un animal attaqué par un prédateur suprême.

Spyhopping orques

Vous êtes donc partis à la recherche de preuves que les baleines à bosse perturbent les chasses des orques…

Quand nous sommes rentrés du voyage, j’ai écrit à toutes les personnes que je connaissais qui travaillaient sur les orques et les baleines à bosse. J’ai reçu plusieurs dizaines de réponses de personnes disant qu’elles avaient vu quelque chose de similaire.

J’ai également vérifié les études et rapports écrits, ce qui m’a permis de trouver d’autres exemples. Beaucoup d’entre eux provenaient de naturalistes ou même de touristes sur des bateaux d’observation des baleines, mais c’est logique, car ils sont beaucoup plus nombreux à observer les baleines que les biologistes. Cela m’a montré qu’il y a des traces de ce comportement partout où il y a des baleines à bosse.

Les autres chercheurs sont-ils persuadés que les baleines à bosse aident les autres espèces ?

Il a fallu du temps pour convaincre les gens. Dans le monde animal, l’altruisme est une question épineuse, car il peut être difficile à expliquer en termes de sélection naturelle. Si certains actes peuvent sembler motivés par la compassion, les chercheurs se gardent bien d’attribuer de tels sentiments aux animaux. C’est étonnant de voir à quel point cela suscite des réactions.

Toutefois, les gens ont appris que je faisais ces recherches et ils ont commencé à regarder ces interactions d’une manière un peu différente. Au fil des ans, le nombre d’observations a atteint une masse impressionnante. Je pense que beaucoup de ceux qui observent les baleines à bosse sont maintenant d’accord avec mon interprétation de ce qui se passe, même si ce n’est peut-être pas le cas en ce qui concerne la raison pour laquelle les baleines à bosse agissent ainsi.

Baleines à bosse trio

Alors les baleines sont-elles altruistes ?

Si vous définissez l’altruisme comme un comportement qui augmente la santé du bénéficiaire au détriment de celle de l’exécutant, alors il est clair qu’il s’agit d’altruisme. Les baleines à bosse viennent pour chasser les orques. Cela semble être des baleines à bosse agissant contre leur propre intérêt.

Les orques sont des animaux redoutables. Pourquoi les rorquals à bosse s’impliqueraient-ils ?

Les baleines à bosse passent leur vie à se rendre dans les zones d’alimentation et de reproduction où leur mère les a emmenés, et il est donc plus probable qu’elles soient liées aux individus voisins qu’à la population dans son ensemble. Par conséquent, il est dans leur intérêt de chasser les orques qui attaquent un baleineau auquel elles pourraient être apparentées. Les baleines à bosse sont si grandes et puissantes qu’elles n’ont pas trop à craindre des orques lorsqu’elles sont adultes et en groupe, seuls les baleineaux sont vulnérables.

Il s’avère également que les baleines à bosse se précipitent lorsque les orques commencent à émettre des vocalises. On rapporte que des jubartes arrivent à deux kilomètres de distance. Elles ne savent pourtant pas ce que les orques attaquent. On dirait que les baleines à bosse ont un instinct simple : quand les orques attaquent, on y va et on essaie de les arrêter. Donc, nous pensons que ce qui se passe ici est de l’altruisme involontaire.

Groupe baleines à bosse

Est-ce de l’altruisme si c’est « par inadvertance » ?

Oui, selon la définition que j’ai donnée précédemment. Le point essentiel est que ce comportement montre comment l’altruisme pourrait évoluer à partir de l’intérêt personnel. En effet, chez les animaux, il s’agit d’une autre forme d’intérêt personnel. Je ne serais pas surpris qu’il en soit de même pour les humains, car nous admirons l’altruisme et il a ses récompenses : si vous êtes un héros de guerre, vous avez droit à des défilés d’honneur. Il est vrai que l’altruisme humain est plus compliqué que cela.

Avec les animaux, je pense que c’est relativement simple. L’altruisme a sa place dans leur comportement si l’on peut démontrer qu’il est motivé par l’intérêt personnel, et je pense que c’est ce qui se passe avec les baleines à bosse. Il n’est pas nécessaire d’utiliser des termes comme la compassion ou la moralité pour expliquer ce phénomène, qui relève du darwinisme.

Trio baleines à bosse

Peut-on en apprendre davantage sur le comportement des baleines ?

La chasse à la baleine du vingtième siècle a réduit les populations au point que les océans étaient presque vides de baleines. Mais nous avons constaté une nette augmentation du nombre de baleines et je pense que leurs populations commencent à se reconstituer au point que nous observons des comportements dont nous n’imaginions même pas l’existence. Nous devons nous préparer à d’autres surprises dans la façon dont ces animaux interagissent entre eux.

Baleines à bosse dans une baie arctique

L’étude menée par Robert Pitman et son équipe

Robert Pitman et son équipe ont analysé 115 incidents de sauvetage de ce type qui ont mené à la publication d’une étude : Humpback whales interfering when mammal-eating killer whales attack other species: Mobbing behavior and interspecific altruism? (Les baleines à bosse interférant lorsque les orques attaquent d’autres espèces : comportement d’intimidation collective et altruisme inter espèce ?)

Leur objectif : comprendre exactement comment et pourquoi les baleines à bosse prennent des risques pour sauver des animaux qui n’appartiennent pas à leur groupe.

Seulement 11 % des victimes sauvées étaient des baleines à bosse

Les baleines réagissent-elles en fonction de leur histoire personnelle ou de leur expérience avec les orques ? L’étude révèle que seulement 11 % des victimes d’orques que les baleines à bosse ont essayé de sauver étaient des baleineaux de baleine à bosse ; elles ne protègent pas seulement les leurs, loin de là.

Parmi les autres créatures marines que les baleines à bosse ont sauvées, on trouve des baleines grises, phoques communs, otaries de Californie et poissons lune, ce qui soulève la question de savoir si les géants des océans sont altruistes envers les autres espèces.

« L’altruisme inter espèce, même s’il n’est pas intentionnel, ne peut être exclu », rapportent les chercheurs.

La baleine à bosse représente « le seul cétacé qui s’approche délibérément des orques et peut les repousser », note l’étude. Des études ont récemment montré que les orques attaquent régulièrement les baleineaux et les jeunes baleines à bosse, mais rarement les adultes.

Pourtant, l’histoire personnelle pourrait influencer la décision d’une baleine à bosse d’intervenir. Alisa Schulman-Janiger, chercheuse au California Killer Whale Project et coauteur de l’étude, a expliqué que de nombreuses baleines qui attaquent les orques portent des cicatrices de leurs jeunes années. À l’âge adulte, elles pourraient agir de manière protectrice pour aider les jeunes baleines à traverser leur phase la plus vulnérable.

La réaction aux victimes autres que les baleines à bosse pourrait être accidentelle : les baleines à bosse pourraient réagir au signal auditif de l’orque, plutôt qu’à l’espèce en difficulté, par exemple.

Phoque sur la banquise

La baleine à bosse pratique-t-elle l’altruisme « par inadvertance » ?

Les baleines à bosse, cependant, pourraient être réellement altruistes. « Bien que ce comportement soit très intéressant, je ne trouve pas complètement surprenant qu’un cétacé intervienne pour aider un membre d’une autre espèce », a déclaré Lori Marino, experte en intelligence des cétacés et présidente du Whale Sanctuary Project.

Lori Marino a décrit les baleines à bosse comme des êtres intelligents, capables de résoudre des problèmes et de communiquer. « Dans l’ensemble, ces attributs sont ceux d’une espèce dotée d’un degré d’intelligence générale très développé et capable de réponses empathiques », a-t-elle déclaré.

Spyhopping des orques

La conclusion étonnante des scientifiques

Les scientifiques s’acheminent vers une conclusion surprenante : les humains ne peuvent plus prétendre être les seuls à avoir un sens élevé de la moralité !

Le comportement prosocial, c’est-à-dire le fait d’aider les autres sans en tirer un avantage personnel direct, est beaucoup plus courant qu’on ne l’imaginait dans le règne animal.

Toutefois, comme il est difficile de mener des expériences contrôlées avec des baleines à bosse de 30 à 50 tonnes, aucune conclusion ne peut encore être tirée sur leurs motivations.

La puissance et la majesté à l’état pur !

Baleines à bosse en goguette en Colombie Britannique.

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