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Souffle baleine à bosse @ Doug Perrine

Le souffle de la baleine à bosse utilisé comme outil polyvalent

Photo de couverture de l’article © Doug Perrine

Cet article est issu d’une publication de Doug Perrine dans le magazine Hakai du 20 décembre 2022.

Souffle de la baleine à bosse 1

Comment une baleine à bosse utilisa son souffle pour lisser la surface de l’eau et l’utiliser comme une fenêtre

Par une journée d’hiver venteuse à Hawaï, une équipe de chercheurs du Whale Trust Maui observait un groupe de baleines à bosse batifoler autour de leur bateau. La surface de l’océan balayée par le vent déformait la vision au travers de l’eau. L’équipage remarqua alors une baleine faisant tournoyer de façon discontinue ses nageoires à la surface.

Son petit manège produisit un tourbillon qui aplatissait le clapot, créant un endroit lisse où elle pouvait placer son œil pour observer les scientifiques. Le photographe et chercheur Flip Nicklin n’ayant jamais vu de tourbillons utilisés de telle manière, il les surnomma « fenêtres de baleine » (whale windows).

À l’issue de la rencontre, la baleine utilisa une autre méthode pour « construire » sa fenêtre : elle souffla un anneau d’air parfait de son évent — comme un fumeur exhale une auréole de fumée — ce qui lissa de nouveau la surface. Puis, comme précédemment, le cétacé tourna la tête et leva les yeux, croisant le regard du chercheur. La baleine utilisait-elle les bulles comme outil ?

Souffle de la baleine à bosse 2

Jane Goodall et l’utilisation des outils par les chimpanzés

Lorsque la primatologue Jane Goodall informa son mentor – l’anthropologue Louis Leakey – qu’elle avait observé un chimpanzé utiliser des brins d’herbe pour extraire des termites de leurs monticules, sa répartie, désormais célèbre, fut : « Nous devons maintenant redéfinir l’outil, redéfinir l’homme ou accepter les chimpanzés comme des êtres humains ».

Avant l’observation de Jane Goodall en 1960, l’utilisation d’outils était considérée comme une ligne de démarcation nette entre les humains et les animaux. Depuis lors, des rapports ont fait état de l’utilisation d’outils par des oiseaux, poissons, reptiles, insectes, crustacés, céphalopodes et mammifères, y compris les dauphins et les baleines.

Souffle de la baleine à bosse

La définition de l’outil élargie à l’usage du souffle de la baleine à bosse

La définition d’un outil peut être nuancée, mais on s’accorde généralement à dire qu’il s’agit d’un objet physique, autre que le corps de son utilisateur, qui est manipulé ou orienté de manière à affecter quelque chose dans l’environnement de l’animal. Des études menées au cours des dernières décennies suggèrent que l’eau, comme le jet d’eau d’un toxote (sptting archerfish en anglais, littéralement poisson-archer cracheur), ainsi que l’air, comme les bulles d’une baleine à bosse, doivent également être considérés comme des outils.

Nourriture de la baleine à bosse - filet de bulles

La technique du filet de bulles : premier outil créé par le souffle de la baleine à bosse

Les premières bulles acceptées comme outils par les scientifiques, dès 1989, furent les filets à bulles en spirale déployés par les baleines à bosse pour rassembler et concentrer les petits poissons ou invertébrés.

Fred Sharpe, directeur de la Fondation des baleines d’Alaska et chercheur étudiant le comportement alimentaire des filets à bulles depuis plus de vingt ans, affirme que les baleines à bosse émettent des bulles dans de nombreux autres contextes, y compris comme signaux sociaux, par exemple lorsqu’un mâle souffle un énorme jet d’air par la bouche pour intimider un rival.

 « Techniquement, explique Fred Sharpe, ces bulles constituent des outils ». Meagan Jones Gray — chercheuse et directrice exécutive de Whale Trust Maui — note que les bulles sont utilisées sur les sites de reproduction et d’alimentation de multiples façons par de multiples individus, y compris lors des interactions mâle-mâle et mâle-femelle. Elle considère l’utilisation des bulles comme complexe.

Le piège du filet à bulles des baleines à bosse

Consultez l’article Nourriture baleine à bosse : la technique du filet à bulles pour découvrir le détail de cette époustouflante méthode.

Doug Perrine explique ses différentes photos de baleines à bosse utilisant leur souffle

Depuis plus de trente ans que j’observe et photographie des baleines à bosse et que je participe à des projets de recherche, j’ai également observé ces baleines créatives utiliser les bulles de diverses manières et dans différentes situations, dont certaines n’avaient jamais été signalées auparavant.

Je suis tenté de décrire l’air contenu dans les poumons d’une baleine à bosse comme un couteau suisse, car j’ai vu des baleines faire tellement de choses différentes avec cet outil. En réalité, il ne s’agit pas d’une collection d’outils, mais d’un entrepôt de matériaux de construction bruts avec lesquels la baleine peut façonner divers outils. Dépourvues de doigts indépendants et de pouces opposables, les baleines sont incapables de créer et d’utiliser des outils de la même manière que les humains, mais elles révèlent leur intelligence par la manière dont elles utilisent d’autres parties de leur corps pour fabriquer et utiliser des outils.

Filet de bulles baleine à bosse © Doug Perrine
Filet de bulles baleine à bosse © Doug Perrine

La technique du filet à bulles pour rassembler les proies

Sur la photo qui précède, un groupe de baleines à bosse fait surface au milieu d’un filet à bulles en Alaska. Bouche bée, les baleines se gavent du hareng emprisonné dans le rideau de bulles en spirale. Pour créer ce mur de bulles, une baleine ou plusieurs baleines décrivent des boucles de plus en plus serrées autour d’un banc de poissons, tout en relâchant un flux d’air constant.

Souffle baleine à bosse © Paul Souders
Vue aérienne de la technique du filet à bulles © Paul Souders

Vue aérienne de la technique du filet à bulles

La photo ci-dessus représente une vue aérienne d’un filet à bulles fabriqué par un autre groupe de baleines. Au fur et à mesure que le filet à bulles est créé, d’autres membres du groupe effectuent des manœuvres spécialisées de rassemblement qui augmentent l’efficacité de la capture des proies.

Souffle baleine à bosse @ Doug Perrine 2
Les bulles de la baleine à bosse « garde du corps » d’une femelle et son baleineau © Doug Perrine

Les bulles de la baleine à bosse « garde du corps » d’une femelle et son baleineau

Lors de cette rencontre, j’ai observé une femelle nager avec son baleineau, en bas au centre de la photo, accompagnée d’un mâle sur son côté droit. Alors que deux prétendants mâles s’approchaient pour l’intercepter, l’escorte a tracé sa route entre la femelle et les deux rivaux en soufflant une énorme traînée de bulles.

Les bulles ont peut-être servi à cacher partiellement la femelle aux compétiteurs ou à les désorienter visuellement, mais elles ont peut-être aussi permis d’afficher la domination et l’agressivité de l’escorte transformée en garde du corps. Il arrive qu’un rival réponde à une telle rencontre par une traînée de bulles de son côté. Les mâles agressifs peuvent également émettre des bulles d’air par la bouche.

Christine Gabriele, chercheuse au Hawaï Marine Mammal Consortium, convient que cette utilisation des bulles peut être considérée comme celle d’un outil. « Absolument, explique-t-elle, les baleines ont créé une structure à partir de rien et l’utilisent dans un contexte particulier pour ce qui semble être un objectif clair pour nous. »

Souffle baleine à bosse @ Doug Perrine 3
L’escorte sur le pied de guerre © Doug Perrine

L’escorte sur le pied de guerre

Sur la photo ci-dessus, une baleine à bosse escorte mâle souffle un filet de bulles tout en suivant une femelle avec deux rivaux mâles à sa poursuite (hors du cadre). « Un tel cas d’étude est clairement un signal de prévention », selon Fred Sharpe. « L’escorte intime aux autres cétacés de modifier leur trajectoire pour s’éloigner de la femelle baleine à bosse, sous peine de représailles physiques ! C’est un outil qui signale que vous êtes prêt à l’escalade, que vous êtes énervé ou que vous vous apprêtez à entrer en scène. » Et ce n’est pas une menace en l’air. La compétition entre les baleines à bosse mâles pour l’accès aux femelles conduit parfois à des blessures plus ou moins sévères.

Souffle baleine à bosse @ Doug Perrine 1
L’auréole de bulles générée par le souffle de la baleine à bosse © Doug Perrine

L’auréole de bulles générée par le souffle de la baleine à bosse

Cette baleine à bosse d’un an s’est approchée de mon bateau à plusieurs reprises pendant plus d’une heure, soufflant souvent des séquences d’anneaux de bulles parfaitement formés. Essayait-elle de communiquer ? Voulait-elle jouer ? Pourquoi soufflait-elle des anneaux de bulles uniquement lorsqu’elle s’approchait du bateau ?

Fred Sharpe note qu’en des milliers d’heures d’observations par drone de baleines à bosse interagissant uniquement entre elles, il n’a jamais observé d’anneau de bulles. « Les humains déclenchent ce comportement », estime-t-il. « C’est un objet de jeu, mais il présente en outre une étrange composante interespèces. » Les baleines à bosse n’ont que rarement été signalées en train de produire des anneaux de bulles dans l’hémisphère nord, tandis qu’il n’existe aucune observation à ce sujet dans l’hémisphère sud. Je me sens très chanceux d’avoir vu ce comportement deux fois, à 19 ans d’intervalle.

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De la fine auréole à l’imposant nuage de bulles © Doug Perrine

De la fine auréole à l’imposant nuage de bulles

La même femelle d’un an qui a créé les anneaux de bulles a également émis d’énormes nuages d’air à quelques reprises en s’approchant de notre bateau. Les baleines à bosse sont connues pour émettre des bulles à la fois par leur bouche et par leur évent. Cependant, ces manifestations sont généralement produites par les mâles adultes pendant la compétition pour une femelle. Cette expiration bruyante et énergique était-elle une agression ou un jeu ?

Rachel Cartwright — professeur émérite de la California State University Channel Islands — qui étudie les mères et les baleineaux des baleines à bosse à Hawaï en tant que chercheuse principale du projet Keiki Kohola, affirme que, « vue du ciel, l’utilisation des bulles semble très orchestrée et ciblée ».

Souffle baleine à bosse @ Doug Perrine 5
Le souffle de la baleine pour émoustiller une femelle ? © Doug Perrine  (photo prise dans le cadre du permis de recherche n° 633 du NMFS délivré à la Hawaii Whale Research Foundation)

Le souffle de la baleine pour émoustiller une femelle ?

La femelle à droite de l’image était suivie par deux mâles lorsqu’elle s’est calée auprès de notre navire de recherche. L’un des mâles s’est lentement approché d’elle par-derrière. Lorsqu’il s’est trouvé sous elle, il a commencé à libérer un lent et fin filet de bulles qui sont montées sous ses parties génitales alors qu’elle flottait immobile.

Les chercheurs du Whale Trust Maui – Meagan Jones Gray, Flip Nicklin et Jim Darling – ont documenté des comportements pratiquement identiques. Ils supposent que les bulles peuvent être utilisées pour la parade nuptiale, l’accouplement et/ou pendant le processus d’accouchement. Les bulles pourraient peut-être fournir une stimulation avant la copulation ou, si la femelle est enceinte, pourraient stimuler la libération d’hormones de naissance telles que l’ocytocine.

Souffle baleine à bosse @ Doug Perrine
Les circonvolutions artistiques du souffle de la baleine à bosse © Doug Perrine

Les circonvolutions artistiques du souffle de la baleine à bosse

Cette jeune baleine femelle s’est approchée de mon bateau, puis a plongé et a commencé à « dessiner » en créant des rideaux de bulles libérés en un mince filet par son évent. Il n’y avait pas de nourriture aux alentours et aucune autre baleine en vue. Elle a roulé sur le côté de façon à pouvoir regarder vers le haut pour admirer son travail.

S’entraînait-elle à fabriquer des structures de bulles qui pourraient être des outils utiles dans les zones de nourrissage ? Appréciait-elle simplement la beauté visuelle des spirales de bulles scintillantes ? Était-ce de l’art pour l’amour de l’art ? Certains animaux, notamment des dauphins, otaries, rhinocéros et éléphants en captivité, ont appris à peindre avec des pinceaux. Par ailleurs, certains oiseaux et poissons (dont les poissons-globes) sont réputés pour produire des œuvres d’art visuelles pour impressionner leurs partenaires potentiels.

Chez les animaux, le jeu facilite souvent la pratique de comportements qui deviennent des compétences utiles plus tard pour leur survie. Peut-être le jeu de cette jeune baleine avec la production de bulles était-il un comportement adaptatif, car les compétences en matière de soufflage de bulles lui seront utiles à l’âge adulte. J’aime à penser qu’elle n’a fait que satisfaire un besoin créatif et qu’elle a apprécié son spectacle autant que moi.

Texte de Doug Perrine.

Doug Perrine
Doug Perrine

À propos de Doug Perrine

Doug Perrine est un photographe de la faune marine. Ses photos ont été reproduites dans pratiquement tous les grands magazines de nature du monde, ainsi que dans des milliers de livres, calendriers, cartes de vœux, posters, etc.

Originaire de Dallas, au Texas, Doug a poursuivi ses études à l’université d’Hawaï et à l’université de Miami où il a obtenu une licence et une maîtrise en biologie marine. Il a vécu au Maroc, en Micronésie (en tant que volontaire du Peace Corps), ainsi qu’aux îles Caïmans (en tant que guide/instructeur de plongée).

Depuis la fin de ses études supérieures en 1986, il travaille à son compte en tant que naturaliste/photojournaliste. Il est l’auteur des livres Sharks (1995), Mysteries of the Sea (1997), Sharks and Rays of the World (1999), Ripley’s Whales & Dolphins (2000), Ripley’s Coral Colony Creatures (2000), The Living Sea (2002) et Sea Turtles of the World (2003). Il est le principal photographe de Sea Turtles (1996) et de Manatees and Dugongs of the World (1999).

Ses photographies ont été récompensées par de nombreux prix, notamment le prestigieux concours BBC Wildlife Photographer of the Year, dont il a été le grand gagnant en 2004. Il a également remporté le prix de la catégorie comportement animalier et du concours Nature’s Best/Cemex dans la catégorie faune marine professionnelle.

Doug Perrine est également l’auteur de nombreux articles de magazines. Il a fondé le site SeaPics, devenu Blue Planet Archive, pour présenter ses propres photographies, avant de l’étendre à un nombre croissant d’autres photographes.

Doug Perrine travaille aussi occasionnellement comme consultant pour des projets de tournage, notamment pour National Geographic Television, Discovery Channel et d’autres diffuseurs. Son travail de photographe de requins a été présenté dans l’émission Sharks of the Deep Blue, diffusée sur Discovery Channel en 1999 dans le cadre de Shark Week.

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