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Orque femelle résidente © Elaine Thompson 2014

Hommage à Ken Balcomb qui dédia sa vie aux orques résidentes du sud

Kenneth « Ken » Balcomb, fondateur du Center for Whale Research, est décédé le 15 décembre 2022, à Friday Harbor — dans l’État de Washington — où il vécut pendant 46 ans. Il était âgé de 82 ans et a succombé à un cancer de la prostate. Ken Balcomb avait depuis longtemps acquis une incroyable notoriété auprès des amoureux des orques et des scientifiques qui les étudient. Il défendit jusqu’au bout la cause des orques résidentes du sud, dans l’océan Pacifique, entre les États-Unis et le Canada, plus précisément près des côtes de la Colombie britannique et la mer des Salish.

Ken Balcomb CWR
Ken Balcomb 1976 – 2022

CWR Ken Balcomb
Ken Balcomb

Une naissance bien loin de l’océan Pacifique

Né le 11 novembre 1940 à Clovis, au Nouveau-Mexique, presque à la frontière du Texas et à près de 1 600 kilomètres de l’océan Pacifique, Ken Balcomb passa ses premières années à Albuquerque, avant de déménager avec sa famille à Carmichael, en Californie, à l’âge de 11 ans.

Son intérêt pour les animaux fut précoce. Après l’école et durant les week-ends, il travaillait à Carmichael, comme soigneur d’animaux sauvages blessés dans un centre de réhabilitation et comme assistant vétérinaire dans un hôpital pour animaux.

Aldo Leopold
Aldo Leopold

Inspiré par le fils d’Aldo Leopold

Après avoir obtenu son diplôme de l’American River College en 1960, Ken Balcomb étudia à l’université de Californie à Berkeley où il s’inscrivit en tant que major en philosophie pour se préparer à la faculté de droit. Au cours de sa dernière année d’études, il suivit également un cours sur la gestion des poissons et de la faune sauvage, ce qui raviva sa passion pour le travail avec les animaux. Ses professeurs étaient Paul Needham et A. Starker Leopold, le fils du pionnier de l’écologie Aldo Leopold. Ken a alors immédiatement changé sa matière principale pour la zoologie et a été transféré au campus Davis de l’université de Californie, d’où il est sorti avec une licence en zoologie en 1963.

Au cours des deux années suivantes, Ken Balcomb suivit quelques cours de troisième cycle, mais il travailla surtout en mer pour le ministère de l’Intérieur des États-Unis, le Bureau of Commercial Fisheries et le Marine Mammal Laboratory. En mer, Ken marquait des baleines dans l’est du Pacifique Nord ; sur terre, il prélevait des échantillons de tissus à la station baleinière de Richmond, dans la baie de San Francisco, fermée en 1972.

Orque J35 un poisson dans la gueule
L’orque J35 un poisson dans la gueule © CWR

Du baguage des oiseaux de mer au vol pour la Marine

Transféré au programme d’étude biologique de l’océan Pacifique du Musée national des États-Unis, Ken Balcomb passa l’année 1966 à baguer et à étudier les oiseaux de mer dans le centre du Pacifique Nord.

Enrôlé dans la marine américaine pour devenir pilote, au plus fort de la guerre du Vietnam, Ken Balcomb passa cinq ans à voler. Il prit aussi un congé de deux ans pour commencer à travailler sur un doctorat de l’Université de Californie à Santa Cruz. Il effectua ensuite un deuxième détachement de deux ans dans la marine pour suivre les baleines et aider la marine à développer un système intégré de surveillance acoustique.

Enseignant également l’océanographie militaire et l’acoustique pour la marine au Japon, Ken Balcomb profita de l’occasion pour visiter les stations baleinières de Honshu et d’Hokkaido. Il effectua aussi des recherches sur les baleines à bec de Baird, publiant ses conclusions dans sa thèse de doctorat en 1989.

Orque L121 © Dave Ellifrit
Orque L121 © Dave Ellifrit – CWR

La photo-identification des orques de Puget Sound

Après avoir quitté la Marine, Ken Balcomb fut engagé par la National Marine Fisheries Service en 1976 pour réaliser une étude de photo-identification des orques de Puget Sound, dans le prolongement des recherches commencées par Mike Biggs (1939-1990).

Le chercheur commença un mois après la dernière capture d’orques à Puget Sound pour les parcs aquatiques exhibant les mammifères marins. Au total, entre 1962 et 1976, 272 orques furent capturées vivantes à Puget Sound. Douze moururent lors des tentatives de capture ; cinquante furent vendues à des parcs pour mammifères marins. Les autres furent relâchées.

Cette période suivait quelques décennies au cours desquelles les orques furent considérées comme une menace pour l’industrie de la pêche commerciale au saumon et firent l’objet de tirs mortels de la part des pêcheurs. La population d’orques est restée en danger critique d’extinction depuis lors.

Center for Whale Research
Les débuts du Center for Whale Research
Alexandra Morton – qui vécut à cette époque dans la région – décrit avec acuité la situation, alors qu’elle s’était installée pour étudier le langage des orques. Je vous invite à lire son livre, À l’écoute des orques, passionnant de bout en bout.

Center for Whale Research

La première rencontre avec les orques le 8 avril 1976, racontée par Ken Balcomb lisant son journal de bord de l’époque.

Une vie consacrée aux SRKW, les Southern Resident Killer Whales (les orques résidentes du sud)

Après son premier séjour de recherche à Puget Sound, Ken Balcomb étudia les baleines boréales pour la National Marine Fisheries Service dans les mers de Béring, de Beaufort et de Chuckchi en Alaska. Il effectua des recherches sur les populations de baleines sur la côte ouest du Groenland pour le gouvernement du Danemark en 1982 et 1983. En 1985 et 1986, il effectua également des recherches dans l’Antarctique pour la Commission baleinière internationale.

À cette époque, Ken Balcomb retourna à Puget Sound pour diriger brièvement le Whale Museum de Friday Harbor. C’est alors qu’il fonda le Center for Whale Research (CWR) à quelques kilomètres de là. Tandis que la population d’orques résidentes du sud était de plus en plus menacée par la diminution de la nourriture, la pollution et le bruit des bateaux, Ken Balcomb devint une voix forte pour la conservation et la protection de ces épaulards.

Pod J le 16 avril 1976 © CWR
Pod J le 16 avril 1976 © CWR

La fondation du Center for Whale Research

Orca Survey est une étude de photo-identification à long terme des orques résidentes du Sud, dans le nord-ouest de l’Amérique du Nord. Le projet fut lancé par Ken Balcomb, en 1976 (sous contrat avec le National Marine Fisheries Service) pour déterminer la taille de la population d’orques dans les environs de Puget Sound, dans l’État de Washington. C’est pour mieux se consacrer à ces épaulards que Ken Balcomb fonda le Center for Whale Research.

Ken Balcomb à la création du Center for Whale Research © CWR
Ken Balcomb à la création du Center for Whale Research © CWR

Les premières années

De la fin des années 1960 au milieu des années 1970, les orques étaient le plus souvent considérées comme des animaux dangereux que les humains devaient éviter. Toutefois, lorsque leur étude prouva que ces cétacés étaient des créatures pacifiques, intelligentes et organisées en pods matriarcaux, les orques devinrent soudainement très populaires.

Après la capture de nombreuses orques dans le nord-ouest du Pacifique où elles étaient historiquement abondantes, le gouvernement canadien décida qu’il était prudent de déterminer combien d’orques subsistaient dans la région. Peu de temps après l’achèvement de l’étude canadienne, le gouvernement des États-Unis décida de faire de même. En 1976, l’étude Orca Survey fut lancée sous forme de recensement pour déterminer le statut de la population nouvellement définie comme les SRKW (Southern Resident Killer Whales), les orques résidentes du Sud.

Orques J22, J51et J58 chassant le saumon dans le détroit de Géorgie en 2021 © CWR
Orques J22, J51et J58 chassant le saumon dans le détroit de Géorgie en 2021 © CWR

Quarante-six ans de recherche pour Ken Balcomb

Pendant quarante-six ans, le Center for Whale Research a mené une étude annuelle de photo-identification de la population des orques résidentes du Sud qui fréquente les eaux intérieures de l’État de Washington et de la partie inférieure de la Colombie-Britannique. Ces études ont fourni des informations de base sans précédent sur la dynamique et la démographie de la population, la santé, la structure sociale et les histoires de vie individuelles de ces orques. On en sait plus sur cette population d’orques que sur tout autre groupe de mammifères marins dans le monde.

Center for Whale Research – Memorable Moments On The Water With Orcas

Les nouvelles découvertes

Plusieurs éléments découverts au cours de ces premières années ont depuis influencé non seulement la recherche sur les orques dans le monde entier, mais aussi de nombreux domaines de la mammalogie marine (étude des mammifères marins).

La découverte la plus importante fut que les orques peuvent être identifiées individuellement grâce à la tache gris-blanc sur leur dos, appelée tache en forme de selle. Le chercheur canadien Michaël Bigg fut le précurseur de cette méthode. Cette tache, ainsi que la forme de la nageoire dorsale qui présente en plus souvent des entailles, permettent d’identifier chaque orque comme étant unique. Grâce à l’identification individuelle des épaulards, il est rapidement devenu évident qu’il subsistait beaucoup moins d’animaux qu’on ne le pensait. Par ailleurs, il apparaissait clairement qu’ils avaient tendance à se déplacer en groupes stables.

Les scientifiques du CWR ont contribué à mettre au point cette technique de photo-identification individuelle des cétacés ; elle est désormais considérée comme une méthode standard pour la recherche sur les cétacés dans le monde entier. L’identification individuelle des orques a également permis de découvrir différents types d’orques qui semblent dissemblables en termes de régime alimentaire, de comportement et de structure sociale. Ces premières études ont poussé le gouvernement des États-Unis à mettre un terme à la capture des orques.

Orques L103 et L123 © Dave Ellifrit
Orques L103 et L123 © Dave Ellifrit

Une population toujours en voie de disparition

Les informations détaillées sur l’état et les tendances de la population d’épaulards provenant des études à long terme du Center for Whale Research ont été utilisées pour soutenir les décisions de gestion de la population au Canada et aux États-Unis. En 2001, les orques résidentes du sud ont été inscrits sur la liste des espèces en voie de disparition au Canada en vertu de la Loi sur les espèces en péril. En 2005, la population d’épaulards résidents du sud a reçu la même désignation aux États-Unis, en vertu de la Loi fédérale sur les espèces en voie de disparition.

Bien que la population d’orques résidentes du sud n’ait jamais été vraisemblablement importante, elle a décliné à un point tel qu’elle est en grave danger de survie. Les menaces qui pèsent sur leur survie, notamment la diminution de l’abondance de la nourriture constituée majoritairement de saumon royal, la pollution et d’autres facteurs de stress environnementaux, constituent les causes principales de la diminution de la population des épaulards.

Orque J31 et le bébé orque J56 en 2019 © Michael Weiss
Orque J31 et le bébé orque J56 en 2019 © Michael Weiss

Les fluctuations de la population des orques résidentes du sud

Ken Balcomb a fondé le Center for Whale Research avec peu de soutien financier, mais il n’a jamais relâché ses efforts pour suivre les orques résidentes du sud. Il a ainsi documenté le rétablissement de la population jusqu’à 97 épaulards au milieu des années 1990, avant son effondrement soudain à moins de 80 individus durant les années suivantes. Cette observation a servi de base à l’obtention du statut d’espèce menacée pour les orques.

« Je ne pense pas que nous l’aurions su si Ken n’avait pas été là », a déclaré Brad Hanson, biologiste de la faune sauvage à la NOAA Fisheries. « Il a posé les bases et contribué de manière significative à la compréhension de ces animaux que nous avons aujourd’hui. Nous ne serions pas là où nous sommes sans les recherches de Ken. »

Scientifique excentrique et parfois bourru, Ken Balcomb montrait une dévotion sans faille pour les orques. Sur une chaîne stéréo, il écoutait souvent les clics et les sifflements des épaulards qui passaient par là, grâce à des hydrophones fixés dans les lits de varech.

Ken Balcomb a plaidé pour la destruction de quatre barrages massifs sur la rivière Snake, afin de restaurer l’habitat des saumons royaux. Il avait peu de patience pour les politiciens qui tergiversaient plutôt que d’agir pour sauver les orques. « Je ne vais pas les compter jusqu’à zéro — du moins pas tranquillement », avait-il coutume de dire.

En 2020, le Center for Whale Research acheta une parcelle de 18 hectares sur la rivière Elwha appelée Big Salmon Ranch, où les barrages avaient été supprimés et où les saumons royaux sont revenus dans des frayères qui leur étaient inaccessibles depuis le début du XXe siècle.

« J’en avais un peu assez de raconter l’histoire du déclin des orques et des poissons », a déclaré Ken Balcomb. « Je voulais refléter le côté positif de leur histoire. »

Ken Balcomb
Ken Balcomb

Les autres combats de Ken Balcomb

La saga Sauvez Willy/Keiko

Ken Balcomb s’est retrouvé impliqué dans la longue saga Sauvez Willy/Keiko peu après la sortie en 1993 du film à succès. Il mettait en scène Keiko, une orque capturée au large de l’Islande en 1979, vendue au Marineland du Canada en 1982, puis transférée en 1985 à l’aquarium El Nuevo Reino Aventura de Mexico, présumément en violation des traités internationaux.

« Les propriétaires de Keiko, El Nuevo Reino Aventura, ont essayé d’obtenir l’aide de l’Association of Marine Mammal Parks & Aquariums et de certains de ses membres individuels pendant plus de deux ans », a raconté avec frustration Chris Stroud, directeur de campagne de la Whale & Dolphin Conservation Society, en décembre 1993.

Center for Whale Research – les orques résidentes du sud chassent le saumon royal

La recherche d’un site de réhabilitation en Islande

Pendant que SeaWorld négociait en coulisses pour acquérir Keiko, une coalition de groupes environnementaux a finalement fait en sorte qu’un vétérinaire aille voir Keiko et fasse des recommandations pour son avenir. Sur la base du rapport du vétérinaire, les groupes ont suggéré aux propriétaires de Keiko un programme de réhabilitation et de remise en liberté de plus de deux ans, qu’ils ont accepté comme étant le meilleur avenir possible pour lui.

Dans le cadre de cet accord, la Whale and Dolphin Conservation Society et une équipe de spécialistes dirigée par Ken Balcomb se sont rendus en Islande pour discuter de la possibilité de réaliser les études scientifiques qui seraient nécessaires avant qu’une telle libération puisse avoir lieu.

Howard Garrett et Ken Balcomb
Howard Garrett et Ken Balcomb

« Un accord ? Quel accord ? »

En août 1993, Ken Balcomb et son demi-frère Howard Garrett ont prétendu avoir conclu un accord verbal avec El Nuevo Reino Aventura pour acquérir Keiko en vue de sa réhabilitation à Puget Sound. Toutefois, El Nuevo Reino Aventura a nié avoir accepté un tel accord.

Entretemps, SeaWorld a finalisé un accord provisoire pour acheter Keiko, à condition que l’affection cutanée chronique contractée au Marineland du Canada dont il souffrait depuis longtemps soit guérie. Comme El Nuevo Reino Aventura n’a pas réussi à guérir la maladie de peau, SeaWorld s’est retiré de l’affaire plutôt que de risquer que Keiko infecte d’autres orques dans les installations de SeaWorld.

Keiko a été transféré à l’Oregon Coast Aquarium en 1996, puis en Islande en 1998. Il a été relâché en 2002 et est mort en 2003, n’étant jamais devenu complètement autonome.

J2 ou Granny en juin 2011 © Dave Ellifrit
J2 ou Granny (au premier plan) en juin 2011 © Dave Ellifrit

Lolita et Granny (J2)

Ken Balcomb et Howard Garrett — qui ont formé le groupe de défense Orca Network en 1995 — ont tenté d’acquérir l’orque Lolita du Seaquarium de Miami. Ils espéraient ramener Lolita, la dernière orque survivante capturée à Puget Sound, dans le détroit pour qu’elle retrouve sa famille d’origine, le pod L.

En 1995, plusieurs membres du pod L qui auraient pu connaître Lolita avant sa capture en 1970 étaient encore en vie. Ken Balcomb a déclaré que la dernière de ces orques, Granny, était décédée, probablement en début de l’année 2017, 41 ans après l’avoir identifiée pour la première fois.

Découvrez la vie de Granny, la doyenne orque sauvage, sans doute morte à l’âge de 105 ans.

Lolita toujours captive à Miami

Orca Network a offert un million de dollars pour Lolita en 1996. Le Seaquarium de Miami a refusé cette offre, ainsi qu’une autre offre de plus d’un million de dollars quelques années plus tard de la part de la Free Willy/Keiko Foundation.

En 2022, Lolita, dont la santé est apparemment fragile, reste au Seaquarium de Miami. La seule orque à avoir vécu plus longtemps en captivité est Corky II, au SeaWorld de San Diego, capturée au large des côtes de la Colombie-Britannique en 1969.

Kenneth Balcomb
Kenneth Balcomb

Longue vie au Center for Whale Research qui entend bien poursuivre le combat de Ken Balcomb pour la survie des orques résidentes du Sud !

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