Alors qu’un bébé calmar colossal a été filmé pour la première fois en Antarctique, de nouvelles expéditions sont prévues pour observer les adultes, avec des moyens technologiques encore plus sophistiqués.
Calamar à longs bras (Magnapinna) champion de profondeur de plongée
Le calamar à long bras — ou calamar araignée — forme le genre Magnapinna qui regroupe au moins trois calamars évoluant dans les abysses. Il se caractérise par sa morphologie originale avec d’immenses bras, particulièrement fins et déliés. Magnapinna détient le record du monde de plongée sous-marine jamais observé pour un calamar, à une profondeur de 6 212 mètres.
Sommaire
La carte d’identité du calamar à longs bras Magnapinna
Classification | |
Règne | Animalia |
Embranchement | Mollusca |
Classe | Cephalopoda |
Sous-classe | Coleoidea |
Super-ordre | Decabrachia |
Ordre | Teuthida |
Sous-ordre | Oegopsina |
Famille | |
Magnapinnidae Vecchione & Young, 1998 | |
Genre | |
Magnapinna Vecchione & Young, 1998 | |
Magnapinna |
La découverte récente du calamar à long bras Magnapinna
Le calamar à long bras fut pour la première fois identifié en 1907 par Fischer & Joubin qui travaillèrent sur les restes d’un individu dont le corps était remonté des abysses après sa mort. Les scientifiques baptisèrent l’espèce Mastigoteuthis talismani. La famille Magnapinnidae fut spécialement créée pour ce genre. Depuis, le calamar a été renommé Magnapinna talismani.
Il fallut attendre les années 1990 pour observer des spécimens de Magnapinna vivants, grâce à l’évolution technologique et l’utilisation de robots de grande profondeur, munis de caméras.
Les connaissances sur cet étrange calamar des profondeurs sont encore assez rudimentaires, mais elles progressent en même temps que les caméras se perfectionnent et sont capables de filmer à des profondeurs toujours plus importantes.
La famille des Magnapinnidae
La famille des Magnapinnidae était initialement basée sur une seule espèce : Magnapinna pacifica. Cependant, la découverte d’une deuxième espèce – Magnapinnidae atlantica – mit à mal la croyance de l’espèce unique. Les scientifiques pensent désormais qu’il existe peut-être cinq espèces. À ce jour, seulement trois de ces espèces de Magnapinna sont décrites dans le détail. Les deux autres restent très méconnues et apparaissent peu différentes des trois premières.
Les différences entre les différentes espèces se situent au niveau des bras et des tentacules souvent tenus à un angle presque droit par rapport à l’axe du corps, tandis que les portions longues et minces des bras et des tentacules qui suivent le calamar sont presque parallèles à l’axe du corps.
Présentation du calamar à long bras
Les caractéristiques physiques du calamar à longs bras
Les bras du Magnapinna
Les bras du calamar araignée sont constitués de deux parties : les bras proximaux courts avec de grandes ventouses et bras distaux longs et très minces couverts de ventouses minuscules.
Sur les vidéos et photographies de Magnapinna, la différenciation entre les bras et les tentacules, ainsi que le nombre total d’appendices, sont souvent difficiles à déterminer. Pour mieux comprendre la morphologie de Magnapinna, voici trois images d’une vidéo prise dans les eaux hawaïennes par un ROV (Remotely Operated Vehicle) qui est un drone sous-marin.
Ce calamar a les extrémités du bras droit 1 et du bras gauche 4 et le tentacule gauche cassés. Le bras gauche 4 a le tentacule gauche partiellement lové dans sa membrane latérale et ceci est reconnaissable sur les trois photographies.
Apparemment, ce Magnapinna utilise une membrane latérale pour guider chaque tentacule comme chez la plupart des chiroteuthidés, mastigoteuthidés et joubiniteuthis. Le bras 4 droit montre le même berceau du tentacule droit sur les photographies en haut à gauche et en bas, tandis que la photographie en haut à droite montre le tentacule en grande partie libre du bras 4.
La partie proximale épaisse des bras 3 est beaucoup plus courte que celle des autres bras, ce qui peut faire en sorte que ces bras soient pris pour des tentacules en raison de leur position si les véritables tentacules sont cachés dans les membranes latérales des bras 4.
La couronne buccale du calamar araignée
Les connecteurs buccaux s’attachent aux marges ventrales des bras 4.
La tête
Magnapinna possède une tête courte sans cou ou pilier brachial distinct. Ses yeux sont très grands par rapport à la taille de sa tête et du reste du corps.
L’entonnoir
L’entonnoir du calamar est un outil polyvalent multifonction. Celui du Magnapinna n’a jamais été étudié de près, mais on peut soupçonner qu’il assure les mêmes fonctions que chez les autres calamars : expirer, expulser les déchets, pondre des œufs et se déplacer dans l’eau, grâce à la propulsion du jet qu’il produit.
L’entonnoir du calamar araignée possède une fermeture ovale.
Les nageoires
Les nageoires sont grandes. Le manteau se trouve limité aux 10 à 15 % antérieurs de la région sessile des nageoires. La région sessile correspond à la zone attachée des nageoires qui ne comprend pas les lobes antérieurs.
Une courte queue est généralement présente.
Les observations du calamar à long bras depuis les submersibles
Les calamars adultes observés depuis des submersibles équipés de caméras possèdent les caractéristiques suivantes.
— Les bras et les tentacules sont typiquement tenus dans une position inhabituelle : ils s’étendent à des angles aigus par rapport à l’axe du corps puis tournent brusquement vers l’avant, parfois à un angle de 90°.
— L’équivalent du coude se situe aux deux tiers de la longueur du manteau par rapport à l’axe du corps.
— Des estimations approximatives à partir de vidéos indiquent des longueurs totales allant jusqu’à 8 mètres.
— Les bras et les tentacules sont approximativement égaux en épaisseur et en longueur. Les tentacules ne sont généralement pas facilement reconnaissables dans les vidéos : les bras et les tentacules apparaissent donc comme 10 appendices égaux.
— Les bras et tentacules mesurent 15 à 20 fois la longueur du manteau, ce qui représente une proportion exceptionnellement élevée.
— La longueur relative des bras et tentacules par rapport au reste du corps est bien plus importante que chez tout autre calamar.
— La tête semble proportionnellement petite.
Photos de Magnapinna photographié dans le golfe du Mexique
Photos prises par le DSV Alvin, Woods Hole Oceanographic Institution. Plongées co-sponsorisées par le NOAA Undersea Research Program, le Minerals Management Service et le National Energy Technology Lab.
Distribution du calamar à longs bras
Les scientifiques n’en sont qu’aux balbutiements des observations du calamar à longs bras, en raison des profondeurs dans lesquelles il habite. D’après les éléments à la disposition des chercheurs en 2021, les Magnapinnidae sont probablement présents dans les latitudes tempérées à tropicales, dans tous les océans du monde.
Comportement alimentaire du calamar à long bras
On sait peu de choses sur le comportement alimentaire du calamar à longs bras. Les scientifiques pensent qu’il se nourrit en traînant ses bras et ses tentacules le long du fond marin et en attrapant les organismes comestibles sur le sol. Il se peut également qu’il utilise simplement une technique de piégeage, en attendant passivement que ses proies, comme le zooplancton, se heurtent à ses bras.
Magnapinna, le champion du monde de la profondeur de plongée
Le calamar à long bras représente à ce jour le champion du monde de la profondeur de plongée de tous les calamars. Les observations se suivent avec des chiffres spectaculaires et un record à 6 112 mètres de profondeur. La plupart des Magnapinnidae ont été photographiés à quelques mètres du fond.
Les observations répertoriées du calamar à longs bras
=> Le premier enregistrement visuel de Magnapinna date de septembre 1988. L’équipage du submersible Nautile a rencontré un calamar à longs bras au large des côtes du nord du Brésil, à une profondeur de 4 735 mètres.
=> En juillet 1992, le Nautile a de nouveau rencontré ces surprenantes créatures, observant d’abord un individu à deux reprises au cours d’une plongée au large des côtes du Ghana à 3 010 mètres de profondeur, puis un autre au large du Sénégal à 2 950 mètres.
=> En novembre 1998, le submersible japonais Shinkai 6500 a filmé un autre calamar à longs bras dans l’océan Indien au sud de l’île Maurice, à 2 340 mètres de profondeur.
=> Une vidéo prise depuis le véhicule sous-marin télécommandé du navire de forage pétrolier Millennium Explorer en janvier 2000, au Mississippi Canyon dans le golfe du Mexique à 2 195 mètres de profondeur, a permis une estimation de la taille. Par comparaison avec les parties visibles du ROV, le calamar a été estimé mesurer 7 mètres avec les bras complètement étendus.
=> Le ROV Atalante a filmé un autre spécimen de l’océan Indien à 2 576 mètres de profondeur, dans la zone de l’île Rodrigues, en mai 2000.
=> En octobre 2000, l’équipage du submersible Alvin a trouvé un autre calamar à longs bras à 1 940 mètres de profondeur dans la vallée d’Atwater, dans le golfe du Mexique.
=> En mai 2001, environ dix minutes de séquences nettes d’un calamar à long bras ont été acquises par le ROV Tiburon, provoquant un flot d’attention lors de leur diffusion. Elles ont été prises dans l’océan Pacifique au nord d’Oʻahu, Hawaï, à 3 380 mètres de profondeur.
=> Le 9 novembre 2021, une vidéo d’un calamar à long bras a été capturée sur une crête au large de l’escarpement de la Floride occidentale par un ROV du NOAA Okeanos Explorer dans le cadre de l’expédition Windows to the Deep 2021. Le calamar a été trouvé à une profondeur de 2 385 mètres.
Observation à 3 056 mètres de profondeur du calamar araignée en Australie
Les images ROV d’un calamar Magnapinna à une profondeur de 3 056 m.
(A) Vue ventrale du calamar montrant le manteau pâle et les bras et tentacules proximaux.
(B) Vue dorsale montrant le manteau orange-brun foncé et les bras et tentacules proximaux.
(C) Vue dorsale montrant un manteau rose-brun pâle et des bras et tentacules proximaux brun clair.
(D) Vue latérale montrant un manteau pâle et des bras/tentacules proximaux brun orange foncé.
Un nouveau record battu à plus de 6 kilomètres de profondeur !
En 2021, un calamar à longs bras a été filmé dans la fosse des Philippines à une profondeur jamais atteinte jusque-là. L’équipe était en quête d’une épave de guerre à 6 000 mètres sous la mer, lorsqu’elle a rencontré l’animal.
Une équipe de Caladan Oceanic a découvert que l’USS Johnston qui a coulé lors d’une intense bataille navale en 1944 était étonnamment bien conservé, ses canons pointant toujours en direction de l’ennemi. Quelques jours avant de réaliser ce voyage record, les explorateurs avaient effectué une nouvelle descente au fond de la mer, une plongée qui s’est avérée être à quelques kilomètres de la cible.
S’ils n’ont pas trouvé l’épave ce jour-là, ils eurent néanmoins une surprise de taille !
Dès que les images de l’excursion furent collectées, Alan Jamieson, un chercheur en eaux profondes de l’université de Western Australia, s’est assis dans son bureau à bord du navire d’expédition, faisant défiler les images les unes après les autres, à la recherche de tout ce qui pourrait être intéressant.
Le submersible pour deux personnes, piloté par Victor Vescovo, l’investisseur américain qui a fondé Caladan Oceanic, semblait n’avoir observé qu’un fond de boue au cours de son long voyage dans la fosse à l’est des Philippines, qui se trouve à 6 200 mètres sous la surface.
Cependant, pendant quelques secondes, quelque chose d’étrange a bougé au loin. Sur l’écran, dans la lumière diffusée par le submersible, apparut une forme floue, mais reconnaissable : un calamar à longs bras. Il évoluait juste au-dessus du fond marin, à plus de 6 kilomètres de profondeur, soit le record de tous les temps.
Mike Vecchione, zoologiste à la Smithsonian Institution, a confirmé qu’il s’agissait bien de Magnapinna.
Un bébé calamar à longs bras à 6 212 mètres de profondeur
Le calamar à longs bras que Jamieson et Vecchione ont vu sur les images évoluait précisément à 6 212 mètres sous la surface de l’océan.
Il ne s’agissait pas d’un adulte, mais d’un juvénile, car il apparaît de petite taille. Les scientifiques estiment que son manteau mesurait 10 centimètres de long, soit environ un tiers de la taille du plus grand Magnapinna connu. Les longs bras et les filaments des tentacules caractéristiques des Magnapinna adultes n’étaient pas visibles sur la vidéo. Il est possible que les filaments aient été contractés ou qu’ils ne se soient pas encore développés.
« La découverte est fascinante en raison de ce qu’elle implique », déclare Bruce Robison, écologiste des profondeurs à l’Institut de recherche de l’aquarium de Monterey Bay. « Les calamars, en tant que prédateurs supérieurs, dépendent d’un réseau écologique complexe. Le fait de trouver un calamar à ces profondeurs suggère que de nombreuses autres formes de vie doivent se trouver là quelque part pour lui procurer des moyens de subsistance. »
La méduse encore plus performante ?
Ce n’est pas la première fois que Jamieson et Vecchione documentent une espèce à des profondeurs extraordinaires. En 2020, ils ont publié une étude sur l’observation la plus profonde jamais réalisée d’une méduse, à une profondeur record de 10 000 mètres.
Lien de l’étude de Vecchione et Jamieson sur l’observation de Magnapinna à 6 112 mètres de profondeur
Jamieson, A.J., Vecchione, M. Hadal cephalopods: first squid observation (Oegopsida, Magnapinnidae, Magnapinna sp.) and new records of finned octopods (Cirrata) at depths > 6000 m in the Philippine Trench. Mar Biol 169, 11 (2022). https://doi.org/10.1007/s00227-021-03993-x
Découvrez deux autres mollusques exceptionnels en consultant les articles Calamar géant, tout savoir sur Architeuthis dux et Calmar colossal – Mesonychoteuthis hamiltoni.
Cet article comporte 0 commentaires